War Heroes (1972)
Face 1
1.
Bleeding Heart 2.
Highway Chile 3. Tax Free
4. Peter Gunn
Catastrophe5.
Stepping Stone Face 2
1. Midnight
2.
3 Little Bears 3. Beginning
4.
Izabella Troisième album studio post mortem de l'ère Jeffery, "War Heroes" ne jouit pas d'une très bonne réputation.
La majeure partie du matériel publié ici ne serait d'ailleurs certainement jamais sortie si Jimi n'était pas mort deux ans auparavant. Eddie Kramer, qui a produit l'album avec John Jansen, a par la suite qualifié l'objet de "
fond de tiroir", contribuant à discréditer un trente-trois tours qui s'est d'ailleurs assez mal vendu.
Le disque est en effet un recueil assez disparate, dont la cohérence pourrait poser question : chutes de studio, titres en devenir, jams informelles et une face B publiée du vivant de Jimi... le cocktail pourrait paraître indigeste : il n'en est rien. C'est au contraire un album plutôt bien agencé, souffrant certes de quelques faiblesses, mais qui fut jusqu'à sa suppression du catalogue tout simplement INDISPENSABLE à tout amateur du guitariste.
Pour s'en convaincre, il suffit d'ailleurs de s'attarder sur la politique de réédition retenue depuis 1997 :
- "Stepping Stone", "Beginning" et "Izabella" figurent désormais sur "First Rays Of The New Rising Sun" (1997) ;
- "Bleeding Heart", "Tax Free" et "Midnight" sur "South Saturn Delta" (1997) ;
- "Highway Chile" sur "Are You Experienced" en tant que bonus track (1997) ;
- et "3 Little Bears" sur le CD "Merry Xmas And A Happy New Year".
Seul "Peter Gunn/Catastrophe" n'a jamais été réédité à ce jour.
Exceptées ces deux dernières plages, tous les morceaux présentés ici méritaient sans aucun doute d'être publiés officiellement.
L'album s'ouvre sur "
Bleeding Heart", une relecture très personnelle du blues d'Elmore James immortalisé par l'Experience le 24 février 1969 au Royal Albert Hall. De la composition du père fondateur du jeu en slide moderne, il subsiste une large partie du texte et une grille d'accords inspirée du blues. Mais le climat proposé ici est tout autre : le blues lent a cédé la place à un rock funky dans le droit fil de la production récente de Jimi. "Bleeding Heart" était un candidat sérieux au quatrième album studio de Jimi, magnifié par des parties de guitare diablement efficaces. A noter que ce n'est que par la suite que Mitch Mitchell enregistra sa partie de batterie.
La présence du titre suivant pourrait sembler incongrue : il s'agit de "
Highway Chile", face B de "The Wind Cries Mary" (troisième Single de L'Experience) ! Mais il s'avère d'une part que ce titre était alors inédit aux Etats-Unis, et d'autre part qu'il semblerait que Jimi ait manifesté un intérêt pour ce titre lors de ses dernières séances de travail en studio.
A regarder de près la construction, c'est là encore un blues légèrement extrapolé : les changements d'accords sont aux mêmes endroits, même si ce ne sont pas les accords classiques d'un blues.
Le riff principal (constitué de tirés de la corde supérieure tendant vers l'unisson avec la corde plus aiguë) est typique des débuts discographiques de l'Experience. Et le riff utilisé lors de la montée de "Highway Chile" est le petit frère du riff final de "51st Anniversary" (face B de "Purple Haze" pour le coup).
Le solo est plus subtil qu'il ne pourrait y paraître : constitué d'une variation autour de quelques notes seulement, c'est l'inventivité rythmique de Jimi qui lui donne tout son sens.
La composition est une excellente décharge rock dont le repêchage post mortem se justifie amplement.
"
Tax Free" est une chute de "Electric Ladyland", composée par un duo suédois (Bo Hansson & Janne Karlsson), souvent jouée Live par l'Experience. Cette prise, enregistrée le 1er mai 1968, est de premier ordre. Le groupe impressionne par sa cohésion et sa puissance. Les trois parties de guitare de Jimi sont parfaitement imbriquées les unes aux autres : les talents d'arrangeur et d'improvisateur de Jimi sont ici à l'honneur. A noter que l'instrument qui pourrait sembler ici être un orgue... est bien une guitare (a priori en passant par une cabine Leslie).
Bien des guitaristes rêveraient de pouvoir présenter en début d'album de tels fonds de tiroir...
Les deux titres suivants ("
Peter Gunn" et "
Catastrophe"), réunis sur la même plage, sont en revanche purement anecdotiques. L'hypothèse d'un choix tactique d'Eddie Kramer n'est pas à exclure : la faiblesse de tels titres aurait pu justifier de ne plus publier d'albums studio de Jimi en raison du manque de matériel. Il n'en sera malheureusement rien.
On peut d'ailleurs émettre rétrospectivement quelques regrets : "Drifter's Escape" et "Come Down Hard On Me Baby" auraient avantageusement remplacé le remplissage inutile de "War Heroes"...
"
Stepping Stone" est d'un tout autre calibre : c'est un titre qui avait de bonnes chances de figurer sur le quatrième album studio de Jimi, même s'il fut recalé en tant que 45 tours du Band Of Gypsys de son vivant (d'une part en raison d'un mastering raté, mais aussi pour éviter un parasitage économique avec le Live sorti par Capitol Records).
Contrairement au single avorté de 1970, c'est ici Mitch Mitchell qui est derrière son kit : de même que pour "Earth Blues" et "Izabella", Hendrix aurait préféré la frappe de son batteur habituel. L'utilisation du conditionnel n'est pas anodine : il n'est pas à exclure une séance post mortem, même si le site officiel indique le contraire.
Le chant de la version studio est aussi réussi que celui des versions Live du Band Of Gypsys est raté.
La manière dont les guitares s'entremêlent lors de la seconde partie du titre est là encore remarquable en termes de construction : la résolution finale libère l'auditeur des tensions permanentes qui jalonnent la première partie du solo.
La face deux de "War Heroes" s'ouvre avec "
Midnight", un des derniers titres studio enregistrés par l'Experience (séances des 1er et 3 avril 1969). Deux autres prises de ce titre (à différents stades de son évolution) sont présentes sur "Hear My Music" : "Slow Version" (le 14 février 1969) et "Trash Man" (le 3 avril 1969).
"Midnight" est un titre fascinant : même si le niveau d'inspiration est inférieur à celui de "Electric Ladyland", la tension qui se dégage, extrême, est impressionnante. L'influence d'Albert King sur le phrasé de Jimi qui ressort par moment contraste violemment avec le discours, presque névrotique, nous transporte dans un univers cauchemardesque.
"
3 Little Bears" constitue l'autre point faible de "War Heroes" : c'est une chute de l'Experience, inaboutie, qui n'aurait jamais dû connaître les honneurs d'une publication officielle...
"
Beginning", crédité comme étant une composition de Mitch Mitchell (hypothèse peu probable) était déjà connu du cercle des amateurs : une version Live, baptisé "Jam Back At The House" figurait en effet sur le double album "Woodstock Two", dont la face 1 était consacrée à la performance du Gypsy Sun & Rainbows.
Juma Sultan et quelques mesures de cette version ont fait les frais d'un mixage minimaliste : le titre manque peut-être un peu de corps, joué en trio. L'absence d'overdubs rend le titre un peu sec : nous sommes plus en présence d'une démo bien mise en place que d'un titre abouti. Pour autant, le thème est intéressant, très rythmique (avec ce 12/8 obsessionnel), montrant les convergences musicales de Jimi avec le jazz rock naissant.
"War Heroes" se clôt avec "
Izabella", dans une version différente de la face B du Single avorté du Band Of Gypsys (avec Mitch Mitchell aux baguettes... et les mêmes interrogations que pour "Stepping Stone"). Je trouve le résultat assez mitigé : carré, professionnel... mais manquant de l'urgence qui transfigure la version jouée à Woodstock. La plupart des versions de travail antérieures fonctionnent mieux rythmiquement : la section rythmique manque terriblement de punch, et les voix sont sans doute trop en avant... Le final est peut-être trop chargé, noyant au final la puissance indéniable des riffs de la composition.
Un album améliorable donc, mais qui avait de quoi réjouir les véritables amateurs.