San Francisco (Winterland) : 11 octobre 1968 [Second concert]
Titres :
1. Tax Free
2. Spanish Castle Magic
3. Like A Rolling Stone*
4. Lover Man*
5. Hey Joe*
6. Fire*
7. Foxy Lady*
8. Purple Haze
* Herbie Rich (du Buddy Miles Express) est à l'orgue Hammond.
Sources audio :
- "The Winterland Reels" (ATM 211/2003/CDR) : C'est un enregistrement soundboard couvrant l'intégralité du concert, de très bonne qualité audio ;
- "Live At Winterland" ("Tax Free", "Fire", "Foxy Lady") ;
- "Winterland + 3" ("Like A Rolling Stone").
Le second concert donné au Winterland le 11 octobre 1968 est sans conteste l'un des plus intéressants de la série. En effet, le trio est rejoint par un organiste sur une majorité de titres, ce qui nous donne une idée de ce que la musique de Jimi aurait pu donner dans le cadre d’une formation élargie. Une idée seulement car, comme nous allons le voir dans le développement qui suit, les conditions n'étaient pas certainement pas toutes réunies pour que l'expérience ait été pleinement concluante.
Un qui ne fut certainement pas convaincu, c'est Alan Douglas. Il a effacé la performance de Herbie Rich sur les trois titres publiés officiellement à la fin des années 1980...
C'est avec "Tax Free" que le groupe débute son quatrième concert donné au Winterland. La jam s'étire sur une vingtaine de minutes, a priori en raison de problèmes techniques obligeant Mitch Mitchell et Noel Redding à combler pendant plus de 11 minutes.
La version publiée sur le "Live At Winterland" est très largement éditée : il ne subsiste rien de cet intermède.
Chris Dixon, dans ses chroniques des concerts du Winterland (sur le site "Just ask the Axis"), note que Mitch Mitchell semble rejoint par un percussionniste, et émet l'hypothèse que ce soit Jimi lui-même qui profite de son kit (à ses cotés) en attendant que son ampli soit réparé.
L'intermède traîne en longueur... même si Mitch Mitchell et Noel Redding font ce qu'ils peuvent pour captiver l'audience. Difficile de tenir sur une telle longueur avec un seul couple basse/batterie, d’autant que l’interruption se fait dès le premier titre du concert.
Le travail de Douglas est d'ailleurs plutôt bien vu car, à ce stade, c'est la meilleure version proposée par le groupe au Winterland.
Le thème est parfaitement exposé par Jimi, et sa première improvisation de qualité.
Pour ceux qui ne possèdent pas la version complète : le groupe reprend un peu avant que Jimi ne surfe sur les harmonies du "Tomorrow Never Knows" des Beatles, précédant un passage en feed back rappelant son travail en studio sur "Cherokee Mist"
Le groupe enchaîne avec "Spanish Castle Magic" (disponible officiellement sur le "Calling Long Distance" proposé par Univibes). C'est une version relativement longue qui vaut surtout pour son long solo central : la guitare de Jimi est trop désaccordée lors des deux premiers couplets/refrains.
Mais Jimi se réaccorde en début de solo et se lance dans un long solo, aventureux, où les idées se bousculent de manière inspirée. Le solo est loin d'être parfait tant dans sa construction qu'en terme de justesse, mais les bons passages compensent sans problème.
Commentaire final de l'intéressé : "Je suis encore désaccordé... comme d'habitude".
"J'aimerais inviter sur scène un organiste important, qui est vraiment excellent, un membre du Buddy Miles Express. Merci d'applaudir Herbie Rich à l'orgue sur le prochain titre."
Le premier titre du quartette improvisé est "Like A Rolling Stone".
Sur le papier, l'idée d'ajouter un orgue sur ce titre de Bob Dylan semble imparable. Malheureusement, Herbie Rich n'est pas accordé avec le reste du groupe : complètement faux lors de son entrée en matière, il tente de s'ajuster... mais n'y arrive jamais parfaitement.
Le problème va perdurer tout le temps de sa prestation, avec plus ou moins d'intensité selon les moments.
La version de Douglas sur son "Winterland + 3" est à ce titre édifiante : le reste du groupe est juste, et c'est une version très réussie... sous réserve de supprimer l'orgue de Herbie Rich donc (qu'on entend tout de même par moment, repiqué par le micro du chant !).
La performance de Jimi y est même remarquable, tant au niveau du chant que pour ses traits guitaristiques "Little Winguesques". Seul le final est un peu raté.
La version vraiment jouée fut moins brillante... mais la responsabilité incombe-t-elle au seul organiste du Buddy Miles Express ? Prendre le temps de s'assurer que l'orgue était accordé avec le reste du groupe aurait été plus professionnel...
La version "Lover Man" a une couleur inédite (en cela, la version n'est pas inintéressante) : mais la présence de l'orgue retire malheureusement plus qu'elle n'ajoute au titre. Le jeu de Herbie Rich est trop classique pour la modernité de l'Experience. A mon sens, il tire le groupe vers un blues plus classique en jouant des traits sans grande originalité. Un Larry Young ou un Stevie Winwood aurait certainement fait mieux.
Il tente encore de se réaccorder pendant le solo... jusqu'à nous donner le mal de mer tant ses fluctuations de fréquence sont pénibles.
"Hey Joe" est peut-être le titre où l'orgue est le plus efficace : la structure répétitive du morceau permet à l'organiste d'être un peu moins sur la brèche que lors du titre précédent. Les quelques tentatives de se caler sur la fréquence du groupe ne sont pas toujours du meilleur goût, mais le résultat d'ensemble est correct.
"Fire" est connu des amateurs, car publié officiellement sur le "Live At Winterland"... mais en version trio (sans problème de justesse d'ailleurs). Là encore, Herbie Rich propose un style d'accompagnement qui n'est pas mauvais en soi (plus Motown/R'n'B pour le coup), mais qui ne colle pas vraiment avec la modernité de l'Experience : le brûlot rock qu'est "Fire" y perd beaucoup de son originalité.
Alors qu'un membre de l'audience réclame "51st Anniversary", l'Experience attaque "Foxy Lady", dont un mixage trio est disponible sur le "Live At Winterland" (en prêtant l'oreille, on entend tout de même l'orgue par moments).
Herbie Rich propose quelques idées intéressantes mais les soucis de justesse relative posent tout de même problème par moment. Ce cinquième et dernier titre avec Herbie Rich laisse lui aussi un goût d'inachevé... et de Jam improvisée en club.
L’expérience n’est pas concluante, mais il ne faut pas pour autant en tirer des conclusions définitives. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter la version longue de "Voodoo Chile" sur "Electric Ladyland".
Sans surprise, le groupe conclut avec "Purple Haze" : c'est une version solide, où Jimi se trompe encore une fois de parole lors du dernier couplet !
Le solo central part sur les bases de la version studio puis s'en écarte totalement.
La puissance du trio joue pleinement (malgré quelques imperfections... et des amplis qui semblent fatigués).
Jimi nous gratifie d'un superbe coup de slide (avec le pied de micro sans doute) lors du dernier solo, avant de finir par une petite démonstration dentaire.
Au final ? Un concert étrange :
- Il est excellent par certains aspects (le mixage des titres publiés par Douglas montre que Jimi était en forme ce soir-là, tant vocalement que guitaristiquement) ;
- Mais il est lesté par les soucis techniques ("Tax Free"), de justesse de la part de Jimi ("Spanish Castle Magic") et plus encore de Herbie Rich (aucun des titres n'est totalement épargné).
Là encore, dans la perspective d’un Live de l’Experience, aucun titre n’était susceptible, en l’état, de prétendre à la postérité.
Dommage…