San Francisco (Winterland) : 10 octobre 1968 [Premier concert]
Titres :
1. Are You Experienced
2. Voodoo Child (Slight Return)
3. Red House
4. Foxy Lady
5. Like A Rolling Stone
6. This Is America (Star Spangled Banner)
7. Purple Haze
Sources audio :
- "The Winterland Reels" (ATM 208/2003/CDR) : C'est un enregistrement soundboard couvrant l'intégralité du concert, d'excellente qualité audio ;
- "The Jimi Hendrix Concerts" ("Are You Experienced", "Voodoo Child (Slight Return)") ;
- "Variations On A Theme" ("Red House").
Ces deux derniers albums, qui sont officiels, sont parus dans les années 1980, mais ne sont désormais plus disponibles.
Octobre 1968.
"All Along The Watchtower", sorti le mois précédent, va devenir le plus gros hit US du Jimi Hendrix Experience.
"Electric Ladyland" s'envole vers le sommet du Billboard alors que les concerts du groupe attirent toujours plus de monde.
Les apparences sont trompeuses : le groupe est alors en pleine crise. Les tensions avec Noel Redding ne se sont pas améliorées lors de l'enregistrement du troisième album de l'Experience, et la fécondité de l'Experience en studio va bientôt relever du souvenir.
Les 6 concerts donnés au Winterland ont été enregistrés professionnellement, avec l'idée de sortir un Live de l'Experience.
Insatisfait de la qualité des bandes, Hendrix mit son veto à la sortie d'un quelconque album Live : ça n'empêchera pas Alan Douglas de publier de très nombreux titres extraits de ces concerts (plus d'un triple album en volume).
Les dirigeants d'Experience Hendrix, qui ont pris les commandes il y a maintenant plus de 10 ans, n'ont toujours sorti aucun Live consacré à ces concerts.
Qu’en est-il de ce premier concert ?
Il s'ouvre avec "Are You Experienced", dont l'introduction se rapproche plus du free jazz que de l'idée que la plupart des gens ont d'un concert de rock.
Hendrix chante bien, mais il est largement désaccordé. Il réussi tout de même à sauver la chanson, aidé par les solides fondations posées par Noel Redding et Mitch Mitchell... ainsi qu'une structure harmonique se réduisant au strict minimum.
L'inventivité mélodique et la maîtrise instrumentale de Jimi sont telles qu'il réussit un solo incroyable, montrant l'écart le séparant de ses contemporains, en terme de conceptions musicales. Les problèmes de justesse ne se sont malheureusement pas améliorés suite aux nombreux coups de vibratos qui ont émaillé le solo, et il termine complètement faux.
"On s'accorde parce qu'on fait vraiment attention à vos oreilles... c'est pour ça qu'on ne joue pas si fort."
"On va continuer avec un truc qu'on a enregistré pour notre 3ème LP, qui s'appelle "Electric Ladyland", et c'est un truc qui s'appelle "Voodoo Child (Slight Return)"... si j'arrive à me souvenir des paroles !"
Les problèmes de justesse de Jimi ne se sont guère améliorés, et ils plombent cette version de "Voodoo Child (Slight Return)", qui sera pourtant retenue par Alan Douglas sur "The Jimi Hendrix Concerts". Pour autant, il faut noter la qualité incroyable des interventions de Mitch Mitchell, qui remplit véritablement l'espace sonore.
"Patientez deux secondes, je dois changer de guitare, parce que celle-là ne reste pas accordée, OK ?"
Il commence ensuite "Red House", qu'il dédie "aux artistes américains et internationaux" (?).
Le tempo, très lent, permet à Jimi de laisser son jeu respirer, d'autant qu'il joue l'introduction avec un son à peine crunchy, et peut ainsi jouer avec les silences (ce qui est quasiment impossible lorsqu'il joue avec tous les potentiomètres lorgnant sur le 10...).
Les deux premiers couplets sont un véritable régal : Hendrix revisite et se réapproprie le titre de manière magistrale. Chant posé, embellissements jazzy dans le jeu d'accords et ponctuations guitaristiques solistes inspirées : tout y passe.
Le premier cycle de 12 mesures du solo reste assez blues. Jimi connaît quelques problèmes de justesse, mais le blues s'accommode facilement de ce type de souci.
L'apaisement du troisième cycle contraste avec les tourments du précédent (violent, avec le feed back en embuscade) : la tension retombe complètement. Et c'est accompagné que de seules quelques ponctuations qu'il joue a capella le 4ème cycle. Le 5ème est joué dans le même esprit. Le 6ème cycle repart sur les bases du deuxième : la tension sature l'espace musical.
Jimi reprend ensuite le chant, et change un peu les paroles, renforçant la pointe d'humour du dernier couplet :
"Si mon bébé ne m'aime plus...
Je sais très bien que sa petite soeur grassouillette le fera... Heu, laissez-moi le dire correctement !...
Sa soeur le fera !"
Hendrix tente de se réaccorder, mais ne peut que constater que : "C'est salement désaccordé, même avec cette guitare qui est réglée...". Il annonce ensuite un retour au "good old days" et lance l'introduction de "Foxy Lady".
Le solo de Jimi, assez long, est très inégal. Jimi est suffisamment désaccordé pour annoncer "I'm out of tune but hell !" avant même la fin du morceau.
Il lance ensuite l'introduction de "Like A Rolling Stone", où ses plans rythmiques sont lourdement lestés par les problèmes de justesse. C'est vraiment dommage, car le chant de Jimi est excellent. Les idées développées en rythmique par Jimi (où les années de métier pré-Experience parlent) sont pourtant brillantes : que c’est frustrant !
A noter : Hendrix cite le "I Feel Fine" des Beatles, citation généralement réservée à "Hey Joe".
A 5:48, Hendrix se lance dans un solo dont le style se rapproche un peu de celui de "May This Be Love", intégrant ensuite des plans rappelant "Bold As Love".
"This Is America (Star Spangled Banner)" nous replonge dans une atmosphère proche de celle du début de concert, en plus radical encore. L'intro complètement free, où Mitch Mitchell laisse parler ses influences, est suivie d'une version complètement déstructurée de "Star Spangled Banner", où Hendrix dissèque le thème en compagnie de Mitch Mitchell et Noel Redding. La version de Woodstock est presque easy listening en comparaison. Celle-ci est intéressante, mais les problèmes de justesse de Jimi, lorsqu'il revient au thème, sont tout de même gênants.
Hendrix enchaîne avec "Purple Haze" (ça deviendra un classique !), dans une version assez médiocre (les problèmes de justesse...).
Il cite le "Outside Woman Blues" de Cream en fin d'un solo qui s'écarte notablement de celui de la version studio.
Et il se trompe dans les paroles du dernier couplet...
Au final ? Un concert assez moyen, pour les raisons développées supra. En ce qui concerne ce seul concert, pas étonnant que Jimi se soit opposé à la publication du moindre titre : même "Red House", le grand moment de ce concert, présente trop d'imperfections pour qu'un musicien de son calibre puisse s'en satisfaire.
Si "Red House" et "Are You Experienced" méritaient, malgré leurs imperfections, une place dans les publications post mortem, le reste du concert pose la question de l'opportunité de la sortie officielle d'une telle performance.
Ou alors sur Dagger Records ? Commercialement, le dilemme explique peut-être l'absence d'une quelconque nouvelle édition officielle à ce jour…