Nine To The Universe (1980) Face 1
1. Nine To The Universe
2. Jimi/Jimmy Jam
Face 2
1. Young/Hendrix
2. Easy Blues
3. Drone Blues
Si durant les cinq années qui suivirent la mort de Jimi Hendrix, un nombre considérable d'albums présentant du matériel inédit se bousculèrent dans les bacs des disquaires, les cinq années suivantes furent une véritable traversée du désert.
Ce vide discographique s'explique par divers facteurs : lassitude du public, qualité des albums de moins en moins satisfaisante, scandale et questions suscitées par "Crash Landing" en 1975...
Bref, c'est contre toute attente qu'Alan Douglas publie en 1980 un album instrumental tout à fait digne d'intérêt : "
Nine To The Universe" est un recueil de jams plus ou moins structurées, remontées pour former un tout plutôt cohérent.
C'est un disque rare : jamais réédité officiellement en CD, de nombreux amateurs n'en possèdent qu'une simple copie.
Après avoir fait miroiter aux amateurs de Jimi la publication de la (supposée) jam du siècle avec John McLaughlin, Alan Douglas présenta un disque au concept original : ce sont cinq instrumentaux enregistrés en 1969, supposés montrer l'orientation musicale que Jimi allait prendre dans les années à venir. Douglas défend notamment l'hypothèse selon laquelle Jimi se serait tourné vers le jazz rock de Miles Davis ou John McLaughlin.
A défaut de répondre à la question, le disque a le mérite de présenter un matériel entièrement inédit, respectueux du talent de guitariste et d'improvisateur de Jimi Hendrix.
Les titres sont ici tous sévèrement édités (coupés/remontés) : on y reviendra dans le détail.
On notera enfin que, sans faire l'unanimité, l'album fut tout de même accueilli très favorablement par les amateurs ne se limitant pas à l'aspect rock de Jimi Hendrix.
L'album s'ouvre sur "
Nine To The Universe", enregistré le 22 mai 1969 au Record Plant.
De même que la veille, c'est Billy Cox et Buddy Miles (avec un joueur de congas inconnu, effacé s'il joue ici) qui officient aux cotés de Jimi alors que l'Experience n'était pas encore séparée... et le Band Of Gypsys encore dans les limbes.
La comparaison de la durée de la jam disponible sur les pirates (Voir l'article sur
Message From Nine To The Universe Vol.1 (ATM 055)) avec celle de l'album officiel est édifiante : de 18:49, Douglas a réduit le titre à 8:46 !
Mais les cuts sont ici bienvenus car les passages édités sont pour la plupart inintéressants (guitare désaccordée, chant de Devon Wilson…). C'est le seul morceau de l'album où Jimi chante brièvement.
Musicalement, "Nine To The Universe" est très structuré : on reconnaît les rythmiques de "Earth Blues" puis de "Message To Love". La première partie est très rythmique, laissant entendre des variations autour des deux principales figures rythmiques de la première composition avant quelques explorations en son clair.
C'est après une long break de Buddy Miles en solo que Jimi lance le riff des couplets de "Message To Love" avant de partir dans un solo très saturé, avec des traits fantastiques.
Ma seule réserve : Billy Cox et Buddy Miles sont sans doute trop monocordes pour véritablement propulser Jimi lorsqu'il improvise. Mais est-il étonnant de constater à ce moment ce qui se vérifiera plus tard ?
Le second titre de la face a été enregistré quelques semaines plus tôt au Record Plant : "
Jimi/Jimmy Jam" date du 25 mars 1969.
Désormais disponible sur "Hear My Music" (dans une version de 16:59), la version de Douglas ne dure que 7:58. Elle est plus accessible que celle de Dagger Records.
Comme son titre l'indique, Jimi joue en duo avec Jim McCarty, du Buddy Miles Express. Dave Holland est crédité sur le pirate, ainsi que sur les notes de "Hear My Music". Par contre, sur le site officiel ainsi que sur l'album original, c'est Roland Robinson qui est crédité ! Il faudrait demander à Dave Holland, qui est toujours vivant...
Quel qu'il soit, ce bassiste propose une réplique que je n'ai jamais entendu aucun autre bassiste donner à Jimi, qui pousse ici l'octavia dans ses derniers retranchements. Le solo vire même carrément free jazz par moments mais il est supprimé de la version éditée de "Nine To The Universe" et l'on passe en fait très rapidement au solo de Jim McCarty, qui est excellent.
Ce que propose Jimi en rythmique est formidable, assez jazz en terme de conception et placement d'accords mais avec un son démentiel.
C'est la performance de Mitch Mitchell que je trouve la plus mitigée : peut-être que la liberté du bassiste lui pose des problèmes de placement ?
Jimi entame enfin un riff bluesy que le bassiste puis les deux autres suivent. Occasion d'un duo de guitares presque Allmanien avant que Jimi ne reprenne l'Octavia pour conclure.
Une jam de premier plan donc, même si ce n'est pas l'avis de tout le monde, y compris un des principaux intéressés :
"
C'était du Alan Douglas. Il y a eu tellement de merde qui à mon avis n'aurait jamais dû être publiée. Ce matériel n'a jamais été destiné à être publié sur un album officiel. Mais, après la mort de Jimi, vous aviez tous ces gens qui se battaient pour faire du fric sur son nom. En sortant toute cette merde qui n'aurait jamais dû être publiée. Ce titre de "Nine To The Universe" en fait partie. Les trois premiers albums, voilà son héritage. Il y avait beaucoup de grands guitaristes alors. Clapton, Beck, Page, Michael Bloomfield... J'ai connu tous ces mecs. Mais Hendrix était au-dessus du lot. Et tout le monde le savait. Il était (et reste) le meilleur."
(Citation de Jim McCarty)
La face 2 s'ouvre sur une nouvelle jam enregistrée au Record Plant, le 14 avril 1969 cette fois-ci.
D'une vingtaine de minutes, Douglas a réduit "
Young/Hendrix" à 10:22, recentrant le titre autour des soli de Jimi.
C’est une des jams importantes de la carrière de Jimi. Contrairement à celle avec John McLaughlin, la musicalité parle d’elle-même et le son est excellent. Larry Young est un des meilleurs musiciens avec qui Jimi ait jammé. Il a sa place dans l’histoire de l’orgue Hammond (le post-Jimmy Smith, ni plus ni moins), et dans l’histoire du jazz (participation en 1969 au "Bitches Brew" de Miles Davis, mais aussi membre fondateur du Tony Williams Lifetime, avec John McLaughlin, puis plus tard sideman du même McLaughlin ou de Carlos Santana, il jouera même avec Pharoah Sanders). Cette jam est passionnante car elle montre un Hendrix qui aurait eu sa place sur les enregistrements de Miles des 70’s, avec un jeu très rythmique, et des conceptions déjà bien avancées pour début 1969. Les échanges entre Hendrix et Young fonctionnent à merveille, et les cuts de la jam s’avèrent inutiles, voire condamnables.
Contrairement à ce qui est indiqué, c'est Buddy Miles qui est à la batterie, et non Mitch Mitchell. Billy Rich tient ici la basse. La performance du groupe dans sa globalité est excellente : parfait dans sa maîtrise du tempo, c'est Larry Young qui se charge de ponctuer le discours de Jimi, et inversement lors des échanges de soli.
"
Easy Blues" date du 28 août 1969, lors des séances du Gypsy Sun & Rainbows au Hit Factory.
De 9:59, Douglas a réduit le titre à 4:17, en recentrant le morceau autour de Jimi : seuls ses soli ressortent dans la version officielle. Pourquoi pas ?
Larry Lee accompagne Jimi à la guitare, avec Billy Cox et Mitch Mitchell.
Contrairement aux plages 1 et 3, "Easy Blues" a tout de même été recasé sur la dernière version DVD du concert de Woodstock... mais dans une version encore plus sévèrement éditée (on l'entend lorsqu'on consulte le menu).
Comme son titre l'indique, c'est un blues, sans doute le morceau le plus abordable de l'album, avec de solides lignes de basse, et quelques plans rythmiques très efficaces. Mais rien de révolutionnaire non plus...
La dernière plage, "
Drone Blues" provient de la session du 24 avril 1969 au Record Plant.
C'est encore une fois Billy Cox à la basse, mais contrairement à ce qui est indiqué sur la pochette, c'est Rocky Isaac qui est à la batterie, et Al Marks aux percussions (effacé).
On retrouve désormais ce titre sur "Hear My Music", dans une version plus complète.
Edité de 8:34 à 6:16 par Douglas, "Drone Blues" est autrement plus original que le titre précédent, et n'a de blues que le thème de "Drivin' South" que Jimi introduit dès qu'il passe en solo.
Jimi joue TRES saturé. Et taquine l'harmonie, jouant plus risqué qu'en concert. Le point faible de ce titre est sans conteste la partie de batterie. A propos de sa performance sur "Room Full of Mirrors" (version du coffret pourpre), je notais qu'à "
mon humble avis, Rocky Isaac est loin de faire l’affaire : son jeu manque de précision, et je trouve sa prestation indigne d’un musicien de la trempe de Hendrix."
Sa performance n'est pas meilleure ici. Pour autant, le titre ne manque pas d'intérêt, et le publier n'était pas une mauvaise idée.
Au final ? C'est un album à part dans la discographie hendrixienne : un disque modeste préfigurant ce que Dagger Records présente désormais dans une discographie parallèle des plus intéressantes.
Douglas commençait ici sa rédemption...