Live At The Fillmore East (1999)
CD 1
1. Stone Free 12:56
2. Power Of Soul 6:19
3. Hear My Train A Comin' 9:01
4. Izabella 3:41
5. Machine Gun 11:36
6. Voodoo Child (Slight Return) 6:02
7. We Gotta Live Together 9:56
CD 2
1. Auld Lang Syne 3:54
2. Who Knows 3:55
3. Changes 5:37
4. Machine Gun 13:36
5. Stepping Stone 5:20
6. Stop 5:43
7. Earth Blues 5:58
8. Burning Desire 8:22
9. Wild Thing 3:06
Avec les années, l’album "Band Of Gypsys" publié en 1970 a fini par s’imposer comme étant un disque majeur, dont l’impact dépasse le seul univers du rock, où paradoxalement, le disque continue d’être controversé.
Depuis le début de l’ère Experience Hendrix LLC (en 1997), le Band Of Gypsys n’a cessé d’être mis sur le devant de la scène : albums studio inédits publiés par Dagger Records, remake pathétique de l’album sans Jimi ("The Band Of Gypsys Return", publié l’an passé, d’une nullité abyssale), et, surtout, l’objet de cette chronique.
Publié en 1999, le "
Live At The Fillmore East" avait de quoi faire saliver les amateurs de Jimi : une large majorité des titres présentés ici étaient alors inédits, provenant de la même série de concerts que le Live mythique du groupe.
Certains regrettèrent aussitôt la forme choisie : un double album et non un coffret 6 CD retraçant l’intégralité des 4 concerts. A titre personnel, je trouve qu’une telle décision aurait été une grave erreur : le matériel enregistré alors ne justifiait pas la publication de l’intégralité des bandes. Le "Live At The Fillmore East" est à ce titre édifiant : si le premier CD est absolument remarquable, le second est loin de respecter les critères de qualité qu’on est en droit d’attendre d’un album de Jimi Hendrix.
Le choix des titres opéré par Experience Hendrix LLC aurait pu légèrement améliorer la donne (pour le détail, reportez-vous à mes chroniques Live), mais il n’en demeure pas moins que si le matériel inédit justifiait la publication d’un autre Live du Band Of Gypsys, l’option d’un simple aurait à mon sens été autrement plus respectueuse de l’œuvre du guitariste. Quitte à proposer l’intégralité des 4 concerts via Dagger Records…
CD 1
Le premier CD commence par les harmoniques de "
Stone Free" [1er janvier 1970, Second concert], titre phare de l'Experience dont la version studio ouvrait la face 2 de l'édition américaine de "Smash Hits", publiée quelques mois plus tôt. Le groupe s'approprie la composition de manière intéressante. On notera que le jeu de Buddy Miles, plus relâché sur le second couplet, gagne à être épuré. Son apport vocal sur les refrains donne une nouvelle saveur appréciable.
Après le deuxième refrain, Hendrix se lance dans un long solo très saturé pendant que Billy Cox martèle le riff final de ce qui deviendra "Astro Man".
Hendrix apprécie particulièrement ce type de contexte : l'absence de changement d'accord lui donne une grande liberté harmonique, laissant sa seule imagination comme fil rouge de ses improvisations.
Feedback, vibrato, jeu en octaves, tensions harmoniques, variations rythmiques... Hendrix s'exprime avec le langage qu'il a créé, unique.
Jimi cite très brièvement le thème de "Little Drummer Boy".
Buddy Miles improvise ensuite un scat d'une minute trente, suivi par un passage semi-free où Hendrix joue au percussionniste sur son instrument... avant de procéder à un court lancer de bombes proche de celui joué sur la version historique de "Machine Gun" quelques heures plus tôt.
Le groupe reprend le riff énergiquement et embraye avec le dernier refrain. La transition est impeccable.
Suit un mouvement sur deux accords qui se prolonge par un superbe passage chanté où Jimi improvise autour des paroles ("
I've gotta be free") avant de repartir dans un nouveau solo, où il joue en octaves en son clair.
La structure complexe de "
Power Of Soul" [1er janvier 1970, Premier concert] est maîtrisée de bout en bout dans la version ici présentée.
L'introduction instrumentale, qui dure plus de trois minutes, est le théâtre de l'intensité du jeu de Jimi (décidément en forme pour ce premier concert de l’année 1970). Ses tirés sont fiévreux, superbement servis par la puissance de feu de la section rythmique.
Le chant de Jimi sur les couplets est bien senti, sa voix traînante à souhait.
Le premier refrain est chanté par le seul Buddy Miles, rejoint par Jimi sur le second.
"
Hear My Train A Comin'" [31 décembre 1969, Premier concert], fut le premier titre de ce concert à bénéficier de la reconnaissance d'une édition officielle. Publié en 1986 sur le confidentiel "Band Of Gyspsys 2", on le retrouvera ensuite comme
bonus track de la réédition parue en 1991 de l'album "Band Of Gypsys" avant qu'il ne termine logiquement ici.
Là encore, Hendrix n'avance pas en territoire inconnu, même si le tempo est plus soutenu qu'avec l'Experience.
Le chant de Jimi est excellent, très émouvant.
Dans son premier solo, il fond traits blues et feed back dans une même intensité, avant d'enclencher la wah wah (mais avec un son plus clair) pour un passage plus calme servant d'introduction au dernier couplet.
Le second solo, dans une veine très proche de la première partie du premier (les coups de vibrato en plus), n'est pas moins remarquable.
Preuve de l'excellence de cette prise : Hendrix et Kramer l'ont mixée le 5 février 70, dans l'hypothèse de l'inclure dans l'album du groupe.
Suit une version compacte de "
Izabella" [31 décembre 1969, Premier concert], particulièrement réussie (malgré un tempo peut-être trop élevé). Sa présence sur le "Live At The Fillmore East" ne souffre d'aucune discussion. Le chant se pose parfaitement sur la rythmique tissée par Cox & Miles.
Marque de fabrique du Band Of Gypsys, Hendrix double à deux reprises la ligne de basse à l'unisson (avant de commencer son solo et sur le final). Son solo est assez court, mais bien senti (c'est sur la rythmique des couplets qu'il fait son chorus).
C'est malheureusement la dernière version Live de ce titre...
Les premières mesures de "
Machine Gun" [1er janvier 1970, Second concert] sont ici éditées : Jimi avait attaqué l’introduction sans même se réaccorder. Et c'est tout à fait regrettable, car Jimi part sur des bases pour le moins instables, voire douteuses. Contrairement à la version légendaire jouées quelques heures auparavant, les parties où guitare et chant sont à l'unisson sont ici réduites à la portion congrue, et les couplets nettement moins forts.
Hendrix enclenche son Fuzz dès qu'il lance le riff "No Quarter", et part aussitôt en solo.
Les chœurs avec la descente chromatique sont présents eux aussi. Ils contribuent utilement à installer un malaise que ne dissipe pas un solo des plus furieux de Jimi, très original. Sa technique de soliste permet de cacher les problèmes de justesse, qui sont moins flagrants dans le contexte volontairement dissonant de ce passage.
Solo intéressant donc, même si Kramer en a édité la fin, où Hendrix reprend le riff désaccordé comme jamais.
Le cœur n'y est pas forcément lors du couplet suivant...
Un échange de tirs entre Hendrix et Miles (où Buddy joue curieusement hors tempo par moments) précède un solo free de Jimi, mélangeant feed back et percussions.
Hendrix dresse ensuite une montagne de saturation, déverse un flot de bombes sur le Fillmore puis termine en citant "Taps".
De bons moments... mais trop inégal.
Kramer aurait pu nous faire l'économie des deux prises de "Machine Gun" présentes ici : elle ne rajoutent rien à la version publiée du vivant de Jimi... qui doit se retourner dans sa tombe à l'écoute d'une guitare à ce point désaccordée.
Hendrix présente ensuite "
l'hymne national des Black Panthers" : "
Voodoo Child (Slight Return)" [1er janvier 1970, Second concert]. Les problèmes de justesse se sont envolés (les titres du CD suivent ici l’ordre du concert), et c'est une superbe version présentée ici par le Band Of Gypsys, plus groove bien sûr. Le jeu de Billy Cox se marie manifestement bien avec celui de Buddy Miles. Il semble plus à l'aise avec une assise rythmique métronomique.
Le premier solo, typique de Jimi, est à la hauteur de ce qu'on peut attendre de lui en matière d'intensité. Le second présente aussi de bons passages, même si les octaves de Jimi ne sont pas toujours justes.
Au final, c'est une relecture intéressante, relativement courte comparée aux versions de l'Experience.
Mais le groupe enchaîne sans interruption sur le Buddy "
We Gotta Live Together" Miles show.
"
We Gotta Live Together" [1er janvier 1970, Second concert], dernier titre chanté au Fillmore par Buddy Miles, est en fait très différent du titre qu'il a enregistré en studio.
Extrait d'une interview d'Eddie Kramer, alors qu'il remixait la version CD du "Band Of Gypsys" :
"
Je me souviens très bien de Jimi râlant lorsque l'on en venait au matériel solo de Buddy qui n'en finissait plus. Jimi disait un truc comme "Nom de dieu, Buddy, tu vas la fermer !" On a dû procéder à beaucoup de cuts pour améliorer tout ça. Je veux dire par là qu'il adorait jouer avec Buddy... ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, c'est juste que par moments, Buddy pouvait être un peu excessif et que Jimi trouvait approprié de procéder judicieusement à des cuts."
Il tempère toutefois (ce qui explique de son point de vue la nouvelle version présentée sur le "Live At The Fillmore East") : "
J'écoute certains de ces passages édités actuellement et je grimace car je trouve ces cuts grossiers. Car alors, c'est ce que nous avions réellement fait : trancher dedans pour que ça rentre dans l'album."
Je ne suis pas certain que cette version soit supérieure à celle publiée en 1970, mais sa présence se justifie toutefois pour deux raisons :
- La transition avec "Voodoo Child (Slight Return)" est intacte ;
- A défaut d’être meilleure, cette version est plus proche de ce qui fut réellement joué ce soir-là…
Et il n’y a pas à regretter les 7 minutes supprimées par Kramer…
CD 2
Le présentateur souhaite une bonne année 1970 à l'audience du Fillmore sur fond de "Ce n'est qu'un au revoir"... dont le Band Of Gypsys reprend le thème ("
Auld Lang Syne" ; [31 décembre 1969, Second concert]) pour fêter dignement la nouvelle année. Hendrix applique à la mélodie toute sa science de la guitare : vibrato, feed back, sustain... Il joue ensuite quelques traits plus blues lorsque le groupe met le turbo... quelle entrée en matière !
Hendrix attaque les paroles de "
Who Knows" [31 décembre 1969, Second concert], dont c'est la première, dans un esprit similaire : "
Happy New Year... Good bye 69..."
C’est malheureusement une version complètement inutile, où les improvisations tombent complètement à plat (il semblerait que Jimi connaisse des problèmes matériels à ce moment…), bien que le titre soit déjà sévèrement édité…
A noter : l’écoute de la prise complète nous permet d’entendre que contrairement à la version de l’album "Band Of Gypsys", le jeu de questions/réponses auquel se livrent Hendrix et Miles est agrémenté d'harmonies vocales sur la partie de Buddy... qui ne seraient pas le fait de Billy Cox mais de Jenny Dean et d'Emeretta Marks (en tout cas, au moins selon cette dernière, Cf. les notes de pochette de "Voodoo Soup")…
Hendrix annonce ensuite au public que Buddy Miles va interpréter "
(Them) Changes" [31 décembre 1969, Premier concert], laissant ainsi au batteur le soin de prendre le devant de la scène. C'est au fil des années que "Them Changes" s'imposera comme son classique (la version studio du Buddy Miles Express n'était pas encore sortie). Buddy donne d'ailleurs ici le meilleur de lui-même, justifiant la présence de cette version sur le "Live At The Fillmore East" : elle est d'un niveau comparable à celle retenue sur l'album original.
Hendrix joue parfaitement son rôle de sideman de luxe.
Hendrix annonce le titre suivant, "
Machine Gun" [31 décembre 1969, Second concert], qui est au Vietnam ce que Guernica fut à la guerre civile espagnole.
Les deux premiers couplets sont suivis d'un premier solo peu saturé, qui manque de direction.
Hendrix lance le riff "No Quarter" pour attaquer le couplet suivant : les choeurs ne sont malheureusement pas toujours très justes, et contrairement à la version légendaire, un peu à coté de la plaque. Le couplet qui suit en est d'ailleurs exempté.
Hendrix commence un court solo avec son Octaver au son si spécifique (Octavio) mais il manque de sustain, et n'insiste pas : là encore, un manque de direction se fait sentir.
Il reprend le chant puis enclenche le Fuzz, et commence taper le dos du manche de sa Stratocaster pour instaurer un climat inquiétant.
Contre toute attente, la version décolle à la 10ème minute. Hendrix met le turbo et joue un solo hyper intense, volontairement peu mélodique ; le point culminant étant peut-être la citation de "Taps" (le fameux thème de quelques notes joué en hommage aux militaires morts au combat).
La version manque toutefois trop de cohésion pour être inoubliable...
Vient alors "
Stepping Stone" [1er janvier 1970, Premier concert], dont c'est la dernière version Live.
Le chant de Jimi laisse à désirer, surtout comparé à la version studio. Ses variations de timbre sont un peu perturbantes. La section rythmique assure pourtant sa mission lors des couplets.
La partie instrumentale alterne passages où guitare et basse jouent à l'unisson avec des passages où Hendrix est en solo.
Malheureusement, les changements de tempo de Buddy Miles ne collent pas toujours avec les changements de structure... Le tout manque manifestement de cohérence. Hendrix explique d'ailleurs au public que ces titres sont nouveaux, qu'ils les font à leur sauce aujourd'hui, et qu'ils seront différents demain.
Aveu d'échec ?
La version de "
Stop" [1er janvier 1970, Premier concert] présentée ici n’est pas inédites : elle a connu le même sort que "Hear My Train A Comin'".
Jimi n'est pas parfaitement juste, mais le métier est là : il sauve les meubles avec professionnalisme.
Le premier solo, assez blues par ses tirés, est joué en son clair, mettant l'accent sur la mélodie...
...qui contraste avec le second solo, autrement plus agressif tant par le phrasé que par le son (Cf. l'usage de l'Octavio, dans une veine proche de "Who Knows").
On notera enfin que les choeurs du trio sont bien au point.
C'est avec une guitare légèrement désaccordée que Jimi lance le riff en octaves de "
Earth Blues" [1er janvier 1970, Second concert]. Le son n'étant pas trop saturé, les dégâts sont limités.
Malheureusement, le chant de Jimi est très moyen, surtout comparé à la version studio publiée en 1971.
Hendrix se lance rapidement dans un long solo aventureux, mais assez inégal. Les idées se bousculent mais ne sont pas toujours en place. Techniquement, on a vu Jimi plus rigoureux, et les soucis de justesse n’arrangent rien.
A noter l'excellence de la ligne de basse de Billy Cox relançant efficacement le solo malgré le rythme imperturbable de Buddy Miles.
Là encore, la publication officielle de 1999 était loin d’être indispensable…
Suit la dernière version Live jamais jouée de "
Burning Desire" [1er janvier 1970, Premier concert].
Après une intro à la wah wah, le groupe attaque bille en tête. Contrairement à "Stepping Stone", la mise en place est très réussie malgré les arrangements hyper complexes (c'est sans doute le titre avec le plus de ruptures de tout le répertoire Hendrixien !).
Jimi attaque son solo par un passage en octaves avec un son presque clair. Les interventions en tant que soliste sont entrecoupées par une figure comportant de rapides changements d'accords.
On a le droit à un excellent solo très rythmique (et un Hendrix manifestement concentré).
Vient ensuite le passage
laid back, où Hendrix joue des traits bluesy du plus bel effet (en son clair).
La reprise up tempo est maîtrisée de bout en bout (que de breaks successifs !), avant un ultime solo là encore très rythmique.
Quand le "Live At The Fillmore East" est sorti en 1999, j'avoue avoir été pour le moins surpris de voir "
Wild Thing" [1er janvier 1970, Second concert] dans le répertoire du Band Of Gypsys ! La reprise des Troggs est tellement liée au répertoire des débuts de l'Experience... (Il existe seulement deux versions postérieures à l'été 1968 : une au Winterland, l'autre au RAH).
Hendrix attaque furieusement l'introduction à l'Octavio, qu'il coupe lorsque le groupe entre en scène. Et la sauce Band Of Gypsys prend une nouvelle fois pas mal !
Pas de citation du "Strangers In The Night" de Sinatra lors du solo, mais des traits bluesy bien sentis et un final sans reprise du chant joué avec les dents.
Moins de trois minutes !
Un bémol toutefois : hors du contexte du concert (où une bonne décharge rock était effectivement du plus bel effet après l'interminable Buddy Miles show), le titre tombe un peu comme un cheveu sur la soupe.
Mais force est de constater que le deuxième CD du "Live At The Fillmore East" est compilé sans grande cohérence…
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