Stages - Atlanta 70 (1991)1. Fire
2. Lover Man
3. Spanish Castle Magic
4. Foxy Lady
5. Purple Haze
6. Hear My Train A Comin'
7. Stone Free
8. Star Spangled Banner
9. Straight Ahead
10. Room Full Of Mirrors
11. Voodoo Child (Slight Return)
Dernier volume de "
Stages", ce quatrième CD revient sur la performance du trio Hendrix/Cox/Mitchell du 4 juillet 1970 donnée dans le cadre de l'Atlanta Pop Festival à Byron (en fait à plus de 140 km d'Atlanta). Enregistrée professionnellement, elle fut aussi filmée, mais avec une qualité d'image assez moyenne.
La date a son importance : le triple album "Woodstock" était alors au sommet des charts, et il va sans dire que plus d'un spectateur espérait bien entendre une interprétation du fameux enchaînement de l'hymne américain avec "Purple Haze" en ce jour de fête nationale US.
C'est après une journée de fournaise que le trio se produira devant la foule la plus nombreuse de la carrière de Jimi, à ce stade tout du moins : le record sera battu à l'Ile de Wight. Outre la chaleur, l'humidité était de la partie : cela explique certains problèmes de justesse rencontrés ici, les instruments à cordes supportant mal l’humidité ainsi que les variations de température (Jimi ne montera sur scène qu'après minuit).
Le groupe rencontrera malheureusement d'autres soucis techniques plus gênants encore : il semble que la qualité des retours dont disposaient les musiciens sur scène était très insuffisante, le plus pénalisé étant Mitch Mitchell. Il fait ici les frais du niveau sonore extrême auquel Jimi jouait, cela se traduisant par certains flottements rythmiques totalement inhabituels de sa part, allant même jusqu'à la perte du tempo. Sa capacité à retomber sur ses pattes alors qu'on pense qu'il a perdu la mesure, évoquée par Billy Cox en interview est ici mise à rude épreuve, même si l'intensité de ces flottements varie selon les titres.
Par conséquent, il n'est pas surprenant de constater que, des quatre volumes de Stages, "
Atlanta 70" est de loin celui qui retranscrit le moins la véritable nature du concert. Non seulement Douglas n'a sélectionné que 11 des 17 titres joués, mais il a aussi inversé considérablement l'ordre dans lequel ces titres apparaissaient.
Comme pour "San Diego 69", tout le matériel présenté ici n'était pas inédit : la bande originale de la vidéo "Johnny B. Goode" sortie en 1986 comportait une version éditée de "Voodoo Child (Slight Return)", "Star Spangled Banner", mais aussi un titre non retenu ici : "All Along The Watchtower".
Quatre ans plus tard, la compilation "Cornerstones 1967-1970" publiée par Douglas présentait deux inédits extraits de ce même concert : "Fire" et "Stone Free". Au final, seuls 7 titres étaient donc véritablement inédits, sur les 11 du CD.
On notera enfin que la VHS consacrée à ce concert publiée par Douglas dans les années 90 ne reprend pas exactement les mêmes titres que "Stages", sans doute pour s'assurer que tous les amateurs du guitariste passent bien devant le tiroir-caisse (on y retrouve "Red House" et "Hey Joe", inédits sur disque).
Pour tenter d'y voir plus clair, voici la setlist des titres joués à Atlanta, annotée par mes soins :
1. Fire [plage 1]
2. Lover Man [plage 2]
3. Spanish Castle Magic [plage 3]
4. Red House >>> disponible sur la VHS
5. Room Full Of Mirrors [plage 10]
6. Hear My Train A Comin' [plage 6]
7. Message To Love >>> inédit officiellement
8. All Along The Watchtower >>> disponible sur la VHS et sur l'album "Johnny B. Goode"
9. Freedom >>> inédit officiellement
10. Foxy Lady [plage 4]
11. Purple Haze [plage 5]
12. Hey Joe >>> disponible sur la VHS
13. Voodoo Child (Slight Return) [plage 11]
14. Stone Free [plage 7]
15. Star Spangled Banner [plage 8]
16. Straight Ahead [plage 9]
17. Hey Baby (New Rising Sun) >>> inédit officiellement
Au final, seuls trois titres n'ont jamais été publiés officiellement.
Le mixage présenté ici par Douglas ne fait pas là non plus l'unanimité : outre un panoramique stéréo très marqué (qu'à titre personnel j'apprécie), il a ajouté de l'écho sur la voix, ainsi que des acclamations de spectateurs lorsqu'il estimait que cela renforçait l'intensité dramatique de l'évènement.
En ce qui me concerne, c'est surtout le choix des titres de Douglas que je trouve (légèrement) améliorable : pourquoi retenir "Room Full Of Mirrors", dont la version présentée ici est très faible, à la place de "Hey Joe", où Jimi livrait deux superbes soli ?
L'idée d'inverser l'ordre dans lequel les titres apparaissent est totalement saugrenue.
Pour le reste, sa sélection tient la route, d'autant que publier l'intégralité du concert d'Atlanta serait une grave erreur. En effet, Jimi sombre dans le néant musical le plus total lors de son interprétation de "Hey Baby (New Rising Sun)" : il est à souhaiter qu'une telle horreur ne soit jamais publiée officiellement...
"
Hé ! Hé ! Gene, mets ça plus fort, j'entends pas la, la sono. J'entends que dalle ! [hors micro] (...)
J'aimerais introduire le nouveau membre du groupe : c'est Billy Cox à la basse. Et Mitch Mitchell à la batterie. Votre dévoué est à la cabine saxophonique, on peut l'appeler ainsi. Un, deux. Un, deux, trois..."
Le groupe attaque par "
Fire", dans une version incendiaire (facile, je sais…), même si Mitch n'est pas toujours calé sur Jimi et Billy. Billy se charge timidement des chœurs (ils sont en tout cas largement enterrés dans le mixage). Sa ligne de basse est d'un tout autre niveau : contrairement à Noel Redding, il joue de nombreuses variations lors des couplets, enrichissant habilement la composition d'une nouvelle couleur.
Le premier solo de Jimi est très aventureux, limite borderline par moment, mais dégageant une énergie et une liberté incroyable. Mitch profite de la citation du "Outside Woman Blues" de Cream pour se lâcher un peu.
Jimi attaque son dernier solo en chantant à l'unisson ses premières notes, avant de surfer efficacement sur les tensions liées aux changements de tonalité.
Joué régulièrement depuis le début de la tournée américaine de 1970, "
Lover Man" montre la cohésion du trio, qui ne semble pas perturbé outre mesure ici par les soucis de sonorisation. Les arrangements très carrés de la composition sont parfaitement interprétés.
Le groupe enchaîne avec un autre classique de son répertoire : "
Spanish Castle Magic". La partie chantée est là encore celle d'un trio parfaitement huilé. Mais c'est le solo central qui constitue le premier grand moment du concert : Jimi improvise brillamment, sans aucun temps mort, concluant sa citation de "The Breeze And I" par un tiré d'une autre planète. Toujours inspiré, il nous livre là un grand solo, parfaitement construit. Son solo final est moins fort, mais il sert plus de coda que de réel prolongement.
Douglas nous projette en milieu de concert avec "
Foxy Lady", dont c'est de loin la meilleure version soundboard du trio Hendrix/Cox/Mitchell. Jimi innove dans ses arrangements : le second refrain est agrémenté de superbes tirés à l'unisson (qu'il reprend lors du dernier refrain).
Le solo central reprend celui de la version originale avant que Jimi n'extrapole efficacement puis joue un moment avec ses dents. Le final a capella de Jimi est impressionnant.
Après une annonce laissant supposer qu'il va jouer l'hymne américain, Jimi attaque les premières notes de "Star Spangled Banner"... mais enchaîne directement sur "
Purple Haze", dont c'est une de mes versions préférées. Les nouveaux arrangements proposés par le trio, plus complexes rythmiquement, fonctionnent à merveille.
Jimi s'inspire largement du solo de la version originale, et c'est en fait lorsqu'il rejoue le thème en fin de solo qu'il propose le plus de variations, toutes excellentes.
Son solo final se limite à quelques notes hyper tendues, avant de surfer sur le thème puis de nous offrir une magnifique conclusion a capella, dans l'esprit de celle immortalisée à Woodstock.
"
Hear My Train A Comin'" part sur de très mauvaises bases : non seulement la rythmique du trio tombe complètement à plat, mais même le chant de Jimi est loin d'être aussi convaincant que d'habitude. Mais contre toute attente, Jimi livre un premier solo magnifique de bout en bout. C'est d'autant plus incroyable que Mitch Mitchell tombe régulièrement à coté de la plaque, et ne le soutient ni le relance ! Mais l'inspiration de Jimi ne retombe jamais : il réussit ici l'impossible.
On notera la présence de certains éléments qu'on retrouve généralement lors de "Machine Gun", sans doute intégrés d'autant plus volontiers qu'elle est absente de la setlist.
Avec la reprise du chant (laconique dans un premier temps), la qualité retombe d'un cran.
Mais le solo final repart sur les bases du solo central : Jimi improvise avec une liberté inédite dans l'univers du rock, mélangeant traits hyper intense et passages bruitistes... malheureusement sans plus value de la part de Mitch.
Douglas nous projette en fin de concert avec un "
Stone Free" d'anthologie. L'évolution des arrangements est là encore très intéressante : comme sur "Fire", Billy Cox profite des silences de la composition pour investir l'espace avec des lignes différentes selon le moment du couplet. La partie chantée est musclée, particulièrement bien interprétée.
Mais c'est le solo central qui retiendra notre attention : c'est à mon sens le point d'orgue du concert. Jimi nous livre ici un solo de premier ordre, prenant des risques, cassant littéralement ses mélodies, jouant avec les tensions, rebondissant sur la pulsion de Billy Cox. En fin de solo, il joue un long passage en octaves confinant au sublime...
Un grand moment. Avec la version du Royal Albert Hall, certainement une des plus abouties.
Jimi enchaîne directement avec une version a capella de "
Star Spangled Banner", qui contient de très bons éléments... mais qui est malheureusement lestée par des problèmes techniques, ainsi qu'on le voit nettement à un moment du film. Disons que contrairement à la version historique de Woodstock, le feedback se joue plus de lui que lui ne se joue du feedback.
A noter tout de même les superbes variations proposées lors de la montée d'accords finale...
...directement suivie par l'introduction de "
Straight Ahead". La version n'est pas sans défauts : Jimi est bien sûr désaccordé (après "Star Spangled Banner"... il ne fallait pas rêver), et alterne le bon et le moins bon au chant. Pour autant, c'est la seule version Live soundboard (le "Pass It On" de Berkeley est presque un autre titre), et couper l'enchaînement aurait été criminel : jouer ici ce titre après l'hymne américain n'était pas fortuit de la part de Jimi.
Malheureusement, ce n'est pas d'un cran qu'on retombe musicalement avec "
Room Full Of Mirrors", mais de trois étages. Tout est à l'envers ici : le tempo est bien trop élevé, Jimi chante mal, propose un solo sans relief...
Au delà, c'est un des rares titres où l'évolution suivie au fil des mois n'est pas forcément convaincante : la version embryonnaire jouée au Royal Albert Hall est autrement plus inspirée que le rock funky totalement plat interprété ici.
Douglas nous fait remonter dans le temps (et revenir avant "Stone Free") en terminant son recueil avec "
Voodoo Child (Slight Return)" : peut-être voulait-il aligner ce concert sur celui de San Diego, mais aussi sur la plupart de ceux donné en 1970, où "Voodoo Child (Slight Return)" clôturait régulièrement les débats ?
A ce stade, certains problèmes de sonorisation devaient être réglés : Mitch est bien en phase avec ses collègues, et le solo central de Jimi est d'un haut niveau.
Les deux hommes se livrent une véritable joute musicale lors du second solo, d'une intensité remarquable.
Au final ? Douglas tire ici un grand Live d'une performance souffrant pourtant de nombreux défauts par ailleurs. Il faut donc saluer son travail de producteur, qui aurait pu tendre au sans faute s'il nous avait épargné cette horrible version de "Room Full Of Mirrors".
Le concert d'Atlanta n'a généralement pas bonne réputation, ce qui est sans doute renforcé par le film tiré du concert. Mais le comportement de Jimi ne s’explique pas forcément parce qu’il se trouve pas inspiré : il peut aussi être agacé des problèmes techniques, ou autre chose encore…
Pour autant, ce concert est un cinglant démenti à tous ceux qui prétendent que le trio Hendrix/Cox/Mitchell n'arrivait pas à jouer les titres de l'Experience de façon véritablement concluante : les versions qu'il nous livre de "Fire", "Foxy Lady", "Purple Haze", "Voodoo Child (Slight Return)" et "Stone Free" ne sont pas moins fortes que celles de l’Experience. Il en va de même pour "Hey Joe", même si ce titre est absent du recueil.
Si "Stages" était améliorable (mais quel projet de ce type ne l'est pas ?), il n'en reste pas moins que c'est une réussite à mettre à l’actif de Douglas : la discographie hendrixienne pouvait s'enorgueillir de présenter un tel coffret.