Burning Desire (2006)1. Izabella
2. Ezy Ryder/MLK [aka Captain Coconut]
3. Cherokee Mist/Astro Man
4. Record Plant 2X
5. Villanova Junction Blues
6. Burning Desire
7. Stepping Stone/Villanova Junction Blues
8. Slow Time Blues
Ainsi que John McDermott le précise dans ses notes de pochette, "
Burning Desire" est un album qui se situe dans la lignée de "Hear My Music" et de "Morning Symphony Ideas", deux des précédents albums studio inédits proposés par Dagger Records.
Le matériel de "Burning Desire" est issu de sessions s'étalant du 7 novembre 1969 au 23 janvier 1970 : c'est donc le Band Of Gypsys qui est ici à l'honneur, même si Billy Cox ne figure pas sur les deux titres issus de la première session.
Si l'album est entièrement instrumental, tous les morceaux ne sont pas pour autant de même nature. "Burning Desire" se partage en effet entre titres en devenir ("Izabella", "Cherokee Mist/Astro Man", "Villanova Junction Blues" et "Burning Desire"), et jams plus ou moins (in)formelles ("Ezy Ryder/MLK", "Record Plant 2X", "Stepping Stone/Villanova Junction Blues" et "Slow Time Blues").
Il est important de préciser que "Burning Desire" est plus destiné aux amateurs de jazz rock qu'au public rock traditionnel. C'est en effet un album assez difficile, plus proche de Miles Davis que d'un disque des Rolling Stones...
La session du 23 janvier 1970, une des plus inspirées de toute la carrière de Jimi, constitue le cœur de "Burning Desire"... mais aussi de la controverse qui a accompagné sa sortie.
"Record Plant 2X", "Villanova Junction Blues" et "Slow Time Blues" sont en effet tous trois tirés de la même jam, publiée antérieurement sous le nom de "Villanova Junction Blues Jam" sur les deux albums officieux suivants : "Villanova Junction" (sur Burning Airlines) et "Am I Blue" (sur Purple Haze Records).
Quant à la jam "Ezy Ryder/MLK", elle circulait depuis un moment dans la sphère des collectionneurs : j'avais d'ailleurs milité pour une publication sur Dagger Records dans ma chronique du pirate "Record Plant Sessions 23 January 1970 - Two Inch Master Tapes". On notera que "Stepping Stone/Villanova Junction Blues" et "Izabella" n'étaient pas non plus inconnus des collectionneurs de bootlegs.
Que penser du fait d'avoir ainsi coupé en trois la "Villanova Junction Blues Jam" ?
C'est un débat complexe. Alan Douglas a procédé à des montages autrement plus complexes cautionnés par les amateurs de Jimi. Teo Macero produisait d'audacieux copiés collés sur les albums électriques de Miles Davis publiés au début des années 1970. Et Frank Zappa construisait des hybrides pouvant faire passer Alan Douglas pour un néophyte en la matière... Mais, acceptée de leur vivant par l'artiste dans les deux derniers cas, personne ne remettait en cause leur légitimité.
Hendrix tardant toujours à revenir parmi nous, le débat n'appartient qu'aux vivants.
En ce qui me concerne, je ne suis pas opposé au principe, car le fait de "remonter" des jams peut parfois les rendre plus lisibles. Le "Nine To The Universe" produit par Alan Douglas est généralement considéré comme une réussite en la matière.
Concernant le cas d'espèce, ce n'est pas si choquant que ça pour deux raisons :
- La jam n'a pas été pensée par Hendrix comme un tout un jour publiable ;
- Séparer "Villanova Junction Blues" (version "Burning Desire") du reste de la Jam n'a rien de choquant car ce n'est pas le même morceau ! En effet, Hendrix se réaccorde pendant que Buddy Miles et Billy Cox brodent, en attendant que Jimi leur donne une direction. Certes, les musiciens ne s'arrêtent pas de jouer en même temps, mais peut-on parler de continuité musicale, je ne le pense pas.
Hendrix ne se réaccorde JAMAIS en studio en plein milieu de ce qu'il considère être un morceau.
Au passage, les mesures supprimées par Dagger sont d'un intérêt musical quasi-nul...
Le second cut est plus discutable, car il y a effectivement continuité musicale entre les deux. Pour autant, les deux parties sont tout à fait distinctes : d'un coté un rock enflammé, de l'autre un blues mid tempo avec un harmoniciste.
Il y avait quelques temps morts dans cette jam, le son était un peu moins bon par moment (au moins sur les pirates...), et l'harmoniciste n'était vraiment pas du niveau de Jimi en tant que soliste : pour le coup, ça ne choque personne qu'il soit purement et simplement effacé ! Dans l'absolu, c'est pourtant plus grave, car la musique jouée alors est réellement dénaturée (même si elle est paradoxalement améliorée).
On peut enfin retourner l'argument des gardiens du temple dans l'autre sens : si c'est un scandale que de remonter les jams de Jimi, comment doit-on qualifier les albums officiels (ce que, jusqu'à preuve du contraire, les Dagger sont...) qui présentent des enregistrements de faible qualité ?
De nombreux amateurs du Jimi veulent des albums officiels avec des jams de qualité. Si le montage est bien fait, pourquoi rejeter par principe ce type de projet ? Les temps morts des jams ont aussi leurs limites. La politique de Dagger Records n'est pas celle des ATM : le but est de proposer des ALBUMS cohérents, la plupart du temps au moins.
Après vient la question de l'opportunité de sortir dès 2006 les extraits d'une jam publiée par les labels officieux seulement deux ans auparavant. Le procédé est critiquable car il va sans dire que la plupart des acquéreurs potentiels d'un album Dagger Records se seront déjà procurés l'un des deux albums officieux en question. Voire les deux.
Quelques réserves toutefois : le mixage proposé sur ces albums est loin d'être exempt de critiques. La qualité audio est en effet nettement supérieure sur la version Dagger : le Delay rajouté sur la guitare de Jimi (particulièrement net au début de la partie correspondant à "Record Plant 2X") a été supprimé tout à fait judicieusement.
De même, je ne vais pas pleurer l'absence de l'harmoniciste, dont le jeu est transparent.
Afin que chacun puisse se repérer, voici le découpage des 27 minutes 37 secondes de la "Villanova Junction Blues Jam" :
- Les 4:56 de "Villanova Junction Blues" (sur "Burning Desire") correspondent aux premières minutes de la Jam ;
- "Record Plant 2X" : de 6:26 à environ 17:30 sur la "Villanova Junction Blues Jam" ;
- "Slow Time Blues" : commence à environ 23:22, mais continue plus d'une minute au-delà de la "Villanova Junction Blues Jam" telle que nous la connaissions... la fin est donc inédite.
Dagger n'a gardé que le meilleur de cette jam : dans le cadre d'une sortie officielle, je trouve que ça reste une bonne initiative. Sous prétexte que les labels semi-officieux (qui ne sont pas forcément distribués dans le reste du monde aussi bien qu'en France) et les labels pirates auraient publié certaines des meilleures jams de Jimi, Dagger Records ne pourrait plus présenter ce matériel aux fans qui ne sont pas dans les circuits des traders ?
"Burning Desire" commence avec "
Izabella". C'est le seul titre du recueil où Jimi a fait des overdubs. Jimi est crédité comme producteur... mais c'est a priori Alan Douglas qui était dans la cabine lors de cette session du 7 novembre 1969. On entend clairement un percussionniste, lui non plus non crédité. Par contre, c'est bien Jimi qui joue ce qu'on pourrait prendre pour de la basse, mais, ainsi que McDermott le précise dans ses notes, il s'agit d'une guitare, modulée une octave en dessous.
L'intérêt de ce titre est qu'il permet de comprendre comment Hendrix composait alors : comme Billy Cox le rappelle dans le "Sessions" du même McDermott, tout reposait sur des "patterns", qu'on pourrait définir comme étant des motifs musicaux rythmiques allant de la demi-mesure à 4, voire 8 mesures ou plus.
On entend ainsi un passage de ce qui deviendra le pont de "Freedom", et un autre un riff de "Come Down Hard On Me".
Ce qui est passionnant, ce sont les polyrythmies crées via les overdubs : c'est foisonnant, mais jamais confus.
Malgré quelques imperfections expliquant peut-être le rejet de la prise, c'est une version réussie, à l'instrumentation plus puissante que celle de la version publiée sur "First Rays Of The New Rising Sun".
Le titre suivant, "
Ezy Ryder/MLK [aka Captain Coconut]" est une jam inspirée d'une vingtaine de minutes. Ce fameux 23 janvier 1970, Hendrix était au sommet de sa forme : ses improvisations sont éblouissantes de créativité. Il ne se répète jamais, tente l'impossible... et souvent le réussit. Le flux d'idées est constant. En termes d'imagination, aucun de ses contemporains ne tient véritablement la comparaison.
"Ezy Ryder" n'est reconnaissable qu'à compter de la troisième minute, même si le riff sert plus de fil rouge qu'autre chose : il y revient peu avant la sixième minute, mais ne s'y attarde jamais véritablement.
Les grandes improvisations sont rarement le fait d'un seul musicien : Buddy Miles montre ici quel formidable batteur il pouvait être. Les longs passages où Billy Cox reste sur un seul accord en faisant tourner un riff obsessionnel ne fonctionnent que grâce au groove de Buddy et la façon dont il relance la dynamique en permanence.
"MLK [aka Captain Coconut]" commence précisément à 13:47. Cette partie de la jam méritait depuis un moment une publication lui rendant justice. Le solo de Jimi est littéralement massacré sur la version altérée proposée par Alan Douglas sur "Crash Landing". C'est pourtant un solo impressionnant de liberté, où Jimi développe un jeu par moment totalement free faisant passer Clapton, Beck ou Page pour des guitaristes de folk.
Jimi attaque ensuite le thème de "Cherokee Mist", interrompu par un cas de force majeur : il casse une corde à 19:13...
Un bémol tout de même : si la qualité audio est supérieure à celle des pirates, le mixage (ou le mastering ?) me semble tout à fait améliorable.
Dans sa description de la session du 7 janvier 1970 (in Sessions), John McDermott parlait d'une prise complète de "Cherokee Mist". Ce n'est pas tout à fait exact : "
Cherokee Mist/Astro Man" relève plus d'une démo du Band Of Gypsys, où Jimi ajoute au thème de "Cherokee Mist" des éléments de ce qui deviendra plus tard "Astro Man". C'est manifestement une séance de travail, où l'on sent que la mise en place n'est pas encore tout à fait au point. Même le réglage de l'Octavia de Roger Mayer ne semble pas optimal. Pour autant, c'est un éclairage intéressant sur la façon dont Jimi pouvait travailler.
Si "
Record Plant 2X" commence par une introduction a capella presque abstraite, la jam prend rapidement la tournure d'un (hard ?) rock up tempo où Jimi joue le feu. Tirés fiévreux, coups de vibrato cinglants... tout y passe dans un long solo impressionnant d'intensité, qui constitue près de la moitié du titre.
Les passages qui suivent sont plus rythmiques. Billy Cox s'arrête de jouer à la neuvième minute : Jimi reprend les plans de sa "Woodstock Improvisation"... avant qu'intervienne le cut de la controverse.
Etrangement, on bascule sur "
Villanova Junction Blues", enregistré tout juste avant "Record Plant 2X" donc. La version de Woodstock exceptée, c'est la meilleure prise connue de ce titre. Le thème, splendide, est magnifiquement interprété. Après quelques flottements lors du cycle suivant, Jimi enclenche l'Axis Fuzz de Roger Mayer... un véritable orage sonore s'abat alors sur nous. C'est un splendide solo de Jimi, suivi par le passage "
jungle sound"... qui n'ajoute pas grand-chose.
Vient ensuite une version instrumentale du "
Burning Desire" : c'est le seul titre issu de la session du 23 janvier 1970 inconnu de la sphère des collectionneurs. C'est une séance de travail montrant les progrès du groupe (elle montre les qualités d'instrumentistes indéniables de Buddy Miles et de Billy Cox, bastonnant comme rarement à la basse), même si l'absence de chant montre que Jimi devait être conscient des problèmes rythmiques posés par les incessants changements de tempo.
"
Stepping Stone/Villanova Junction Blues" est un duo Jimi Hendrix/Buddy Miles enregistré le 7 novembre 1969, soit une semaine avant ceux publiés sur "Morning Symphony Ideas" (qui sont dans la même veine).
L'introduction commence par le riff de "Calling All Devil's Children". Le passage "I'm A Man/Stepping Stones" est un peu brouillon, mais très puissant. Il est suivi d'une citation d'"Ezy Ryder" puis du thème de "Villanova Junction"... suivi de variations dans l'esprit de "Hey Baby", où le feedback est en embuscade.
Une jam pas inintéressante, mais manquant tout de même de cohérence.
Le recueil se clôt avec "
Slow Time Blues", qui est donc la suite de la "Villanova Junction Blues Jam". Après une introduction presque laid back, le Band Of Gypsys met le turbo en reprenant un riff déjà entendu sur la "Jam 292" (c'est le moment fort du morceau), avant de se lancer dans un shuffle sans grand intérêt.
Au final ? Au delà de la controverse, où chacun se fera sa propre opinion, c'est sans conteste musicalement un des meilleurs albums proposés par Dagger Records à ce jour. Les qualités d'improvisateur de Jimi Hendrix y sont véritablement à l'honneur.