The Jimi Hendrix Concerts (1982)
Face 1
1. Fire
2. I Don't Live Today
3. Red House
Face 2
1. Stone Free
2. Are You Experienced?
Face 3
1. Little Wing
2. Voodoo Chile (Slight Return)
3. Bleeding Heart (Blues in C sharp)
Face 4
1. Hey Joe
2. Wild Thing
3. Hear My Train A Comin' (Gettin' My Heart Back Together Again)
Dans le monde du rock, les albums Live se vendent en général moins bien que les albums studio car ils présentent la plupart du temps des titres déjà connus du public, souvent dans des versions inférieures. Mais le cas de Jimi Hendrix présente toutefois des spécificités que les autres artistes rock ne partagent que très rarement. En effet, la capacité de Jimi à improviser est telle qu'il n'est pas inintéressant d'écouter certains de ses titres dans des versions jouées à quelques heures d'intervalle. Il va sans dire que "Red House" et "Get My Heart Back Together" se prêtent mieux à ce type d'exercice que "Lover Man" ou "Fire" car la part d'improvisation est généralement inversement proportionnelle à la rigueur des arrangements. En outre, Jimi arrivait à transcender Live certains titres studio pourtant très aboutis, rendant là encore l'écoute de ses concerts passionnante.
A un bémol près tout de même : les performances de Jimi sont souvent inégales, les moments de pur génie côtoyant des ratés impressionnants. Les mauvais concerts comptent ainsi de véritables perles... et les grands concerts des passages à vides.
Dans ces conditions, produire un Live de Jimi à partir de différents concerts se justifie aisément : c'était d'ailleurs le cas de "Hendrix In The West" (1972), alors unanimement salué comme étant le meilleur Live du guitariste. Il est intéressant de noter qu'en 1982, relativement peu de matériel était alors disponible : la moitié du concert de Monterey (1967) ainsi que les moments forts du festival de Woodstock étaient déjà sortis du vivant de Jimi (une autre face sera publiée sur "Woodstock II" après sa mort), l'épouvantable "Isle Of Wight" et "Hendrix In The West", quelques titres sur la bande originale du film "Jimi Hendrix", de même que des albums semi-officiels consacrés au Royal Albert Hall (mais avec une qualité sonore loin d'être irréprochable, et montés en dépit du bon sens) et la jam avec Jim Morrison...
En publiant "
The Jimi Hendrix Concerts", Alan Douglas reprenait la formule de "Hendrix In The West" et frappait très fort : le double album était peut-être encore plus réussi que son illustre prédécesseur ! Après le choc de "Crash Landing" et de "Midnight Lightning", Douglas retrouvait avec ces deux galettes une crédibilité qui semblait pourtant à jamais ternie.
Le travail de Douglas garde toutefois certaines spécificités qui lui sont propres, et qui risquent sur le long terme de relativiser le succès de l'entreprise : le mixage opéré par Douglas se veut résolument moderne, et le Live sonne comme si les extraits dataient du début des années 1980 et non des années 1960. Il a en outre charcuté certains titres, supprimant les passages qu'il jugeait plus faibles, et même réussi l'exploit de mixer "Are You Experienced" et "Voodoo Chile (Slight Return)" de telle manière qu'on se rende à peine compte que la guitare de Jimi est désaccordée. Mon plus gros reproche concerne les trois blues lents, où sa propension à rajouter de la réverbe est loin de servir un style qui supporte difficilement les procédés de ce genre : les versions mixées à plat sont à mon sens nettement plus réussies.
Le débat reste ouvert sur les titres comme "Little Wing", où on peut reconnaître certaines vertus au travail de Douglas.
Le matériel provient majoritairement de la série de six concerts donnés au Winterland par le Jimi Hendrix Experience en 1968. Mais sont aussi à l'honneur les concerts du Royal Albert Hall et de San Diego pour 1969, et de Berkeley et Randall's Island pour 1970 (avec Billy Cox à la basse pour ces deux derniers). Seul "Bleeding Heart", extrait du concert du Royal Albert Hall avait déjà été publié auparavant. Son inclusion (avec "Stone Free") souleva de nouveaux problèmes juridiques... mais c'est un classique avec Jimi Hendrix.
Reconnaissons une autre qualité au mixage de Douglas : le tout est très cohérent, et l'auditeur a véritablement le sentiment d'assister à un seul et même concert, ce qui n'allait pas de soi au regard des extraits choisis.
Saluons enfin le sens critique de Douglas : il retient (presque) systématiquement les meilleures prises.
A l'image de nombreux concerts de Jimi Hendrix, l'album s'ouvre avec "
Fire", dans la version jouée le 12 octobre 1968 au Winterland (premier concert), fort judicieusement retenue par Alan Douglas pour son énergie et son explosivité. Avant de chanter le dernier couplet, Hendrix propose à l'audience "
de piger le batteur" : c'est l'occasion de souligner l'excellence de Mitch Mitchell, qui rend la section rythmique de l'Experience aussi détonante.
Suit "
I Don't Live Today", dont c'était alors la première version Live jamais publiée. Issue du concert de San Diego, c'est une version époustouflante, littéralement propulsée par la batterie de Mitch Mitchell. Lors de son premier solo, Jimi réussit à combiner technique outrancière et qualité mélodique. Un véritable challenge !
"
Nothing but existing..."
Après une courte citation de l'hymne américain prolongé d'un lâché de bombes guitaristique, Jimi prend un dernier solo très bruitiste où il finit par citer le "Tomorrow Never Knows" autour duquel il tournait déjà lors du solo central.
"
Va te faire foutre mec, laisse-moi parler !"
L'intervention de Jimi avant de débuter "
Red House" a le mérite de replacer cette version dans son contexte : celui du concert de Randall's Island (17 juillet 1970) et son ambiance détestable. Douglas était d'ailleurs présent lors de ce concert, dont la réputation est pour le moins mitigée.
L'introduction est classique, mais splendide : jouant avec les silences, Jimi laisse respirer son solo le long des deux cycles.
Les deux premiers couplets sont à la hauteur du génie de Jimi. Non seulement ses ponctuations guitaristiques sont toutes plus inspirées les unes que les autres, mais son chant est particulièrement émouvant.
Dès le début de son solo, Jimi joue avec une intensité exceptionnelle. La variation de tempo opérée par Mitch lors du deuxième cycle fait monter la violence d'un cran. Lors du troisième, Jimi pousse le blues dans ses derniers retranchements, à son paroxysme.
La tension retombe d'un coup avec la reprise du chant, dont le contraste avec la furie guitaristique du solo est savoureux.
Un monument. En ce qui me concerne, je préfère cette version à celle de "Hendrix In The West". C'est dire...
La face 2 débute avec un titre alors inédit du concert donné au Royal Albert Hall : "
Stone Free". Légèrement éditée (Douglas a supprimé une partie du solo de batterie), c'est une version d'anthologie, peut-être la meilleure publiée à ce jour.
L'Experience nous réserve ici un véritable tour de force : après un exposé du thème particulièrement vitaminé, les musiciens se lancent dans une longue improvisation où l'inspiration ne redescend pourtant jamais. Les couleurs et les climats se succèdent dans un flux d'idées impressionnant, jusqu'à la courte reprise du thème servant de conclusion à cet autre grand moment.
Le premier disque se clôt avec "
Are You Experienced", dont l'introduction se rapproche plus du free jazz que de l'idée que la plupart des gens ont d'un concert de rock.
Hendrix chante bien, mais il est largement désaccordé. Il réussi tout de même à sauver la chanson, aidé par les solides fondations posées par Noel Redding et Mitch Mitchell... ainsi qu'une structure harmonique se réduisant au strict minimum.
L'inventivité mélodique et la maîtrise instrumentale de Jimi sont telles qu'il réussit un solo incroyable, montrant l'écart le séparant de ses contemporains, en terme de conceptions musicales. Les problèmes de justesse ne se sont malheureusement pas améliorés suite aux nombreux coups de vibratos qui ont émaillé le solo, et il termine complètement faux.
Le mixage de Douglas est particulièrement réussi : en mettant en avant la section rythmique lors des couplets, il cache les défaut de la prise et nous livre une première version officielle Live de "Are You Experienced" (presque) impeccable.
Le premier disque de "The Jimi Hendrix Concerts" est un sans faute, sans doute le meilleur disque Live jamais publié. Le second est un peu moins fort, même si le niveau d'exigence reste élevé.
Il débute avec "
Little Wing", qui constitue peut-être le sommet des six concerts donnés au Winterland. L'Experience transcende littéralement la version studio.
Le chant de Jimi est magnifique : posé, nuancé, émouvant... ce qui ne l'empêche pas de jouer des contrepoints guitaristiques tous plus inspirés les uns que les autres !
La rythmique de Noel et Mitch est un modèle du genre : Mitch comble tous les espaces laissés par le minimalisme de Noel, mais sans jamais charger l'espace sonore.
Le solo de Jimi prend le même chemin que celui de la version originale, modulé par un jeu de wah wah étonnant de nuance. L'équilibre entre tension et relâchement est idéal : seule la version du Royal Albert Hall ira plus loin encore en la matière.
Alan Douglas a toutefois eu la main lourde lors de son mixage : non seulement il a mis de la réverbe partout, mais il a aussi rajouté un bonne dose de Flanger sur la guitare de Jimi.
Le mixage proposé sur les versions officieuses étonnera dans un premier temps l'auditeur habitué à la version officielle. Mais passé l'effet de surprise, la beauté du titre, dans toute sa simplicité, n'en est que plus éclatante.
"
On va continuer avec un truc qu'on a enregistré pour notre 3ème LP, qui s'appelle "Electric Ladyland", et c'est un truc qui s'appelle "Voodoo Child (Slight Return)"... si j'arrive à me souvenir des paroles !"
Comme sur de nombreux titres enregistrés au Winterland, Jimi connaît ici de gros problèmes de justesse, et ils plombent cette version de "
Voodoo Child (Slight Return)", même si le mixage de Douglas permet là encore de minimiser l'ampleur des dégâts. Pour autant, il faut noter la qualité incroyable des interventions de Mitch Mitchell, qui remplit véritablement l'espace sonore.
Autre blues lent, "
Bleeding Heart" est une reprise d'Elmore James très personnelle. Seul titre déjà connu des amateurs du guitariste, sa présence ici n'a rien d'incongru. Contrairement à "Red House", Jimi ne s'éloigne pas de ses racines, montrant quel magnifique bluesman il pouvait être. La façon dont il ponctue le texte est éblouissante : tantôt susurrée, tantôt larmoyante, tantôt violente, sa guitare exprime tous les sentiments possibles.
Le solo est une perle. Une perle rare même : en son clair, Jimi joue avec les silences, tout en finesse et en retenu, sans jamais s'emballer.
Outre les qualités de Jimi en tant que chanteur (ici évidentes), la virtuosité du guitariste est l'autre point fort de "Bleeding Heart" : sans effet ni saturation, le touché du guitariste est véritablement mis à nu.
"
Hey Joe" (désormais disponible sur le "Live At Berkeley") est joué avec un feeling presque blues, et chanté avec conviction (Jimi ne l'avait joué qu'une seule fois depuis Woodstock, au Fillmore...). C'est la première version du nouveau trio de Jimi. Les petits problèmes rencontrés en début du titre lui donnent un petit coté Ile de Wight !
"
Wild Thing" est à mon sens le titre le moins intéressant du recueil. Moins puissante qu'à Monterey, la reprise des Troggs jouée au Winterland n'apporte pas grand-chose, d'autant que le solo de Jimi semble plus visuel qu'autre chose...
"
Get My Heart Back Together" est le dernier morceau du double album. En ce qui me concerne, c'est ma version préférée de l'Experience.
Le tempo, lourd, grave, instaure le climat sombre, presque désespéré du titre. Le chant de Jimi est superbe. Profond, émouvant : ce n'est pas un blues fantasmé, exotique, comme c'est trop souvent le cas chez les groupes de rock. Là, c'est
the real thing.
Le solo de guitare central, interrompu par un bref passage chanté*, témoigne de la virtuosité, au sens noble du terme, de Jimi : là encore, il livre sa conception du blues, dépassant et transcendant l'idiome.
* La version proposée sur "The Winterland Reels" a un intérêt notable : le passage chanté par Jimi, édité ici, y est bien présent.
Les rééditions CD du "The Jimi Hendrix Concerts" comportait en bonus track la version de "
Foxy Lady" jouée au LA Forum en 1969.