Lonnie Youngblood - 2. Les sessions studio
En plus des deux singles enregistrés sous son nom, Lonnie Youngblood a utilisé les services de Jimi Hendrix à plusieurs reprises lors de différentes sessions. Selon toute vraisemblance, ces enregistrements datent de la première moitié de l'année 1966 mais le détail (nombre de séance, personnel...) de ces sessions reste à ce jour inconnu.
Selon les cas, Lonnie Youngblood intervenait en tant que leader pour ses propres enregistrements, ou en tant que directeur musical, voire coproducteur (pour le compte de Johnny Brantley), pour d'autres sessions, dont les conditions ne sont pas claires. Dans les années 60, il n'était pas rare que les producteurs de soul américains utilisent le même accompagnement pour produire différentes versions du même titre (par plusieurs artistes), voire même différents titres, en changeant les paroles et la mélodie. Johnny Brantley et Lonnie Youngblood avaient eux aussi recours à cette pratique - ce qui explique que le même
backing track (avec donc une seule partie de guitare de Jimi) ait pu faire l'objet de différentes versions postérieures. C'est le cas du "Sweet Thang" de Billy LaMont, dont le
backing track servira de matrice au "Keep The Faith, Baby" de Lenny Howard puis à la version du même "Sweet Thang" par George Scott.
De ce fait, même si c'est Jimi Hendrix qui tient la guitare sur leur disque, Lenny Howard et George Scott n'ont sans doute jamais rencontré Jimi Hendrix - au moins lors de leurs séances en studio.
Il n'est d'ailleurs pas exclu que ce soit aussi le cas pour Billy LaMont, qui a très bien pu enregistrer son chant lors d'une séance ultérieure.
En excluant les cas un peu à part de Lenny Howard et George Scott, les titres enregistrés sous la direction de Lonnie Youngblood sont donc les suivants (certains peuvent avoir fait l'objet de plusieurs prises) :
Lonnie Youngblood en tant que leader :
- Go Go Shoes / Go Go Place (en fait le même morceau)
- Soul Food (That's A What I Like)
- Goodbye, Bessie Mae
On peut y ajouter un titre resté inédit du vivant de Jimi :
- Under The Table
The Icemen (un single) :
- (My girl) She's A Fox
- (I Wonder) What It Takes
Jimmy Norman (un single) :
- That Little Old Groovemaker
- You're Only Hurting Yourself
Billy Lamont :
- Sweet Thang
Le
backing track de ce titre sortira par la suite sous la forme d'un instrumental appelé "Wipe The Sweat" (3 prises sont connues).
Selon le site earlyhendrix.com, il est probable que les singles de The Icemen et de Jimmy Norman soient issus de la même session, les premiers faisant peut-être les chœurs du second sur "You're Only Hurting Yourself". Etant les auteurs des compositions qu'ils interprètent, les accompagnements de Lonnie Youngblood leur étaient très certainement spécifiquement destinés.
Avec les années, un nombre considérable de versions de ces différents titres sont apparues, présentant selon les cas des différences d'importance variable : durée, mixage, parfois même des prises différentes - sans parler des overdubs post mortem... Le site earlyhendrix.com et celui de Doug Bell reviennent dans le détail sur le sujet.
Il existe un mixage de "Go Go Shoes" et de "Go Go Place" où la guitare de Jimi est un peu plus en avant, et les titres légèrement plus longs. Inversement, l'autre mixage de "Goodbye, Bessie Mae" (même prise) présente une durée plus courte.
L'autre version de "Soul Food" présente des différences plus marquées... mais sans intérêt vis-à-vis de notre homme.
"Under The Table" est un titre pré-Experience assez intéressant. C'est un blues ternaire ponctué par les cuivres, avec un feeling r'n'b. Jimi joue en introduction un solo (sur deux cycles de 12 mesures). Dans ce registre, Jimi est parfaitement à son aise, et son phrasé est remarquable. Stevie Ray Vaughan s'est peut-être inspiré de ce solo, qui n'est pas sans rappeler le style développé par le guitariste texan des années plus tard.
L'autre point fort de ces sessions est "Wipe The Sweat", le
backing track qui servira de matrice au "Sweet Thang" de Billy Lamont, du point de vue de l'amateur de Jimi Hendrix, nettement moins intéressant que les 3 prises de "Wipe The Sweat" : le chant de Billy Lamont ne casse pas trois pattes à un canard, et la guitare de Jimi est plus en retrait dans le mixage.
Les trois prises de "Wipe The Sweat" sont particulièrement intéressantes. Sur les deux premières, les meilleurs mixages laissent parfaitement entendre la guitare de Jimi, qui est vraiment impressionnant. Son style est tellement riche que sa seule guitare réussit à faire tenir le morceau debout. La liberté de son jeu est incroyable : on sent que le costume du sideman est trop étriqué pour lui - Jimi est prêt.
La troisième prise est malheureusement noyée dans un écho très prononcé... mais n'est pas inintéressante pour autant. D'une part c'est elle qui servira de
backing track au "Sweet Thang" de Billy Lamont, mais, surtout, elle nous laisse entendre les débuts vocaux de Jimi en studio - peu impressionnants il est vrai. Mais le contexte a son importance : le chant de Jimi n'était
a priori aucunement destiné à faire l'objet d'une publication.
Epilogue :
Si le biopic consacré à Jimi Hendrix finit par se concrétiser un jour, nul doute que Mike Jeffery risque d'y est présenté sous un jour très défavorable. Jimi a malheureusement croisé le chemin de producteurs dont le portrait mériterait d'être plus noir encore. Johnny Brantley en fait partie. Avec Ed Chalpin (l'équivalent pour Curtis Knight), il fait partie des gens qui ont exploité le catalogue pré-Experience de la façon la plus éhontée qui soit.
Les sessions de Lonnie Youngblood où Jimi participe feront l'objet d'overdubs postérieurs à la mort de Jimi, massacrant les sessions originales - d'un niveau pourtant modeste au regard de ce que Jimi fera par la suite.
Lonnie Youngblood vivra l'histoire de l'arroseur arrosé : bien que participant de façon active à ces enregistrements nauséabonds, il ne touchera pas le pactole escompté. Par la suite, il cessera de minimiser son rôle, chargeant à mort Johnny Brantley et Joe Robinson...
"Two Great Experiences - Together!", publié dès 1971, présente ainsi des versions altérées du matériel présenté plus haut. Il montera jusqu'à la 127ème place du Billboard - ce qui est un exploit, au regard de son matériel.
Avec "Rare Hendrix" (1972), on franchira un cap supplémentaire : l'album comprend des titres où Jimi Hendrix ne joue pas la moindre note de guitare. Le disque grimpera jusqu'à la 82ème place du Billboard, un score presque comparable à celui de "War Heroes"...
Par la suite, de multiples albums reprenant des sessions altérées et des fakes seront montés sans la moindre considération artistique, utilisant à l'occasion des titres issus de la jam du Scene Club avec Jim Morrison.
Dégueulasse non ?