Jimi Hendrix : Blues (1994)
1.
Hear My Train A Comin' (acoustic) 2. Born Under A Bad Sign
3.
Red House 4.
Catfish Blues 5. Voodoo Chile Blues
6. Mannish Boy
7.
Once I Had A Woman8.
Bleeding Heart 9. Jelly 292
10. Electric Church Red House
11.
Hear My Train A Comin' (electric) Si depuis le début des années 1980, la publication d'albums Live de Jimi Hendrix s'était poursuivie à un rythme régulier, il semblait que la messe était définitivement dite avec la parution de "Nine To The Universe" en 1980 pour ce qui concernait les enregistrements studio du guitariste. D'autant que ce recueil de jams instrumentales succédait aux deux albums les plus controversés de toute la discographie Hendrixienne, à savoir "Crash Landing" et "Midnight Lightning" : sauf à ressusciter Jimi, un nouvel album studio n'était pas d'actualité.
C'est donc à la surprise générale qu'Alan Douglas publia "
Jimi Hendrix :Blues" le 26 avril 1994. D'autant que l'album fut particulièrement bien accueilli, tant par la critique que par les fans.
Rétrospectivement, Alan Douglas et Bruce Gary (les producteurs du CD) profitèrent en fait de la conjonction de deux avancées technologiques :
- d'une part les techniques de mixage modernes avaient suffisamment progressé pour pouvoir combiner différentes prises d'un même titre sans avoir besoin d'apport de musiciens extérieurs (la magie du numérique...) ;
- d'autre part la disparition du vinyle au profit du CD permettait une remise à plat du catalogue en introduisant la notion de semi-inédit.
Enfin, il faut reconnaître à Alan Douglas l'intelligence d'avoir proposé un recueil dont le fil rouge, le blues, permet une réelle continuité musicale alors que les enregistrements proposés s'étalent de 1966 à 1970 d'une part et que le personnel varie d'un titre à l'autre d'autre part.
L'album s'ouvre en terrain connu pour les amateurs avertis du Voodoo Chile : "
Hear My Train A Comin' (acoustic)" était déjà présent sur la bande originale du film "Jimi Hendrix" publiée en 1973. On y voit Jimi interpréter "Get My Heart Back Together" (ou "Hear My Train") en solo le 19 décembre 1967 sur une guitare acoustique 12 cordes accordée en Do.
D'un point de vue discographique, intégrer ce titre sur un recueil de blues est parfaitement cohérent. D'autant que la version acoustique de cet incontournable des performances Live de Jimi est une véritable pépite. Musicalement, elle permet de mesurer la distance qui le séparait des autres grands guitaristes de rock qu'on associe souvent à Hendrix (Clapton, Beck, Page, Bloomfield...) : alors que ces derniers essayaient d'être authentiques, Jimi se contentait d'être lui-même. L'influence de John Lee Hooker est certes perceptible lors du solo central où il double les notes de sa guitare de sa voix, mais son interprétation n'a rien de scolaire. Le fait que Jimi soit reconnu comme un grand bluesman tenait beaucoup à cœur à Alan Douglas : avec ce seul titre, le pari était déjà gagné !
La cover du "
Born Under A Bad Sign" d'Albert King (repris par Cream sur "Wheels Of Fire") était alors inédite. Enregistrée le 15 décembre 1969 par le Band Of Gypsys, la version publiée ici est légèrement éditée : outre les premières et dernières secondes du titre, il y a un cut après le point d'orgue du solo, à 5:10. Quelques secondes en moins certes, mais ces dernières sont loin d'être indispensables : c'est un choix justifiable en l'espèce.
La section rythmique fournit ici à Jimi un groove fabuleux. L'improvisation de Jimi est ici un modèle du genre, d'autant plus impressionnante que le blues instrumental est un genre difficile, facilement ennuyeux. Rien de tel ici, le discours de Jimi est remarquablement bien construit. L'intensité monte progressivement jusqu'à atteindre (à partir de 3:54) le nirvana musical pendant plus d'une minute.
La version qui suit de "
Red House" est connue de tous de ce coté de l'Atlantique : c'est la prise enregistrée le 13 décembre 1966 par le Jimi Hendrix Experience, retenue sur la version UK de "Are You Experienced".
"Jimi Hendrix :Blues" était donc sans doute plus destiné au marché américain, où cette version était inédite. En effet, absente de la version US du premier album de l'Experience, c'est une autre prise de "Red House" qui était proposée sur la version US de "Smash Hits" en juillet 1969. Moins puriste, et moins forte.
Enregistré le 10 novembre 1967 par le Jimi Hendrix Experience aux Pays-Bas, "
Catfish Blues" était alors quasi inédit : certes présent sur le "Calling Long Distance" compilé par Caesar Glebbeek (crédité ici en tant que consultant), ce CD était réservé aux seuls abonnés de la revue UniVibes. Légèrement inférieure à la version publiée quelques années plus tôt sur "Radio One", cette reprise de Muddy Waters n'en reste pas moins un grand moment, prélude idéal au titre suivant, qui est son extrapolation Hendrixienne...
A savoir le "
Voodoo Chile Blues", enregistré au Record Plant le 2 mai 1968 avec Steve Winwood, Jack Casady et Mitch Mitchell.
Les notes de pochette de Michael J. Fairchild (sur l'édition d'Alan Douglas) ont le mérite de ne pas tromper l'auditeur, car elles parlent de "prises". Toute la subtilité du pluriel... On ne rentrera pas dans le détail complexe du montage (combinant plusieurs prises) opéré par Alan Douglas et Bruce Gary.
Pour celui-ci, je vous renvoie au site suivant (d'autres ont déjà fait le travail) :
http://www.winwoodfans.com/hendrix.htm#voodooHendrix est-il trahi par ce type de procédés ? La question mérite d'être posée. Mais la réponse est forcément plurielle. "Crash Landing" était un crime contre l'Œuvre. Mais Hendrix n'a jamais été contre le principe de montage en studio, bien en contraire (overdubs multiples, effets de studio, guitares à l'envers Etc.).
D'un coté, on peut estimer que "Voodoo Chile Blues" est un pas supplémentaire dans ce genre de procédés (comme Teo Macero le faisait avec brio pour Miles Davis à l'époque... mais avec l'accord de Miles). Inversement, on peut rétorquer que créer un titre de toutes pièces à des fins commerciales est une atteinte au droit moral de l'artiste.
En l'espèce, avant d'entendre un pirate présentant l'intégralité des différentes prise de "Voodoo Chile", je ne m'étais rendu compte de rien. De sessions intéressantes, mais non commercialisables en l'état, Alan Douglas a tiré une chimère musicale brillante, avec de fantastiques parties de guitare de Jimi.
N'est-ce pas le rôle d'un producteur ?
Enregistré le 22 avril 1969, c'est Billy Cox et Buddy Miles qui officient aux cotés de Jimi sur "
Mannish Boy", alors que l'Experience n'était pas encore séparée... et le Band Of Gypsys encore dans les limbes. Ce remake up tempo du classique de Muddy Waters, largement influencé par le "I’m A Man" du Spencer Davis Group est en fait un hybride créé par Alan Douglas à partir de différentes prises. Il en a réuni les meilleurs éléments et fabriqué un titre complet, commercialisable (avec en prime un solo !). Et il faut reconnaitre que le travail de "montage-édition" est réussi : à l'écoute, on ne se rend compte de rien. Dans le principe, le procédé est similaire à celui de "Crash Landing". Mais les progrès techniques permettent toutefois de ne pas effacer les musiciens originaux... et la nuance est de taille !
Suit "
Once I Had A Woman", publié en 1975 sur "Midnight Lightning", mais dans une version littéralement massacrée par Alan Douglas. Alan Douglas présente cette fois-ci le titre (presque) tel qu'il a été enregistré par le Band Of Gypsys dans sa fameuse séance du 23 janvier 1970 avec un harmoniciste inconnu. C'est un aveu d'échec de Douglas. Mais il est tout à son honneur car "Once I Had A Woman" est un autre grand moment, qui se divise en deux parties. La première est un blues très lent (improvisé ?), superbement chanté par Jimi. La seconde est constituée d'un fantastique solo où Jimi joue le feu.
Les pirates présentent des versions plus longues de cette prise, avec l'intégralité de la performance de l'harmoniciste... ce qui n'est pas un plus.
Immortalisée au Royal Albert Hall quelques semaines plus tôt, la reprise du "
Bleeding Heart" d'Elmore James enregistrée au Record Plant par Billy Cox et Buddy Miles le 21 mai 1969 est ici jouée sur un tempo nettement plus rapide. Moins forte que la version de l'Experience, cette prise, éditée selon le site officiel, n'en demeure pas moins très intéressante : elle montre Jimi dans un registre blues où il excelle. Comment ne pas être impressionné par son phrasé ?
Le "
Jelly 292" qui suit est en fait une autre prise de la "Jam 292" (moins forte à mon sens) publiée en 1973 sur "Loose Ends". Enregistré au Record Plant le 14 mai 1969, avec Billy Cox, Mitch Mitchell et Sharon Layne au piano, c'est une jam structurée, présentant des figures rythmiques bien travaillées pour chaque cycle. Mais ce sont surtout les soli de Jimi qui retiendront toute notre attention : ils sont assez brefs, mais intenses et toujours inspirés.
Déjà publié sur "Variations On A Theme - Red House" quelques années plus tôt (dans une version plus longue), l'intérêt de "
Electric Church Red House"* était alors faible (*enregistrée aux TTG Studios le 29 octobre 1969 par l'Experience avec Lee Michaels à l'orgue, plus Buddy Miles en première partie). Même si le concept d'album blues pouvait justifier sa présence. Mais dans ce cas, pourquoi garder le montage inutile de deux titres qui n'ont rien à voir (voir ma chronique de "Variations On A Theme - Red House" pour le détail) ?
Le titre suivant est sublime (mais connu, exceptée l'introduction parlée) : "
Hear My Train A Comin' (electric)" est en effet la version Live de "Get My Heart Back Together" jouée à Berkeley le 30 mai 1970 par le trio Hendrix/Cox/Mitchell. Sa présence signait donc l'arrêt de mort de "Rainbow Bridge", jamais réédité en CD, au grand désespoir de tous les amateurs de Jimi.
Au final ? Un recueil fantastique. D'autant plus intéressant que mis à part "Red House", le redécoupage discographique actuel a supprimé les doublons existant lors de sa sortie, rendant "Jimi Hendrix :Blues" encore plus indispensable.
Autre preuve de sa qualité : c'est le seul projet discographique d'Alan Douglas ressorti tel quel par Experience Hendrix LLC (excepté pour les notes de pochettes).
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