Jimi Hendrix - Voodoo Child (2010)Réalisé par Bob Smeaton, habitué des productions Experience Hendrix, ce documentaire sorti en 2010 avec le coffret
West Coast Seattle Boy sort du lot des documentaires à visée biographique habituels. En effet, ce dernier se montre ambitieux de par son concept énoncé au tout début du film :
"Voici l’histoire de Jimi Hendrix racontée avec ses mots à partir d’objets personnels et d’entretiens accordés entre septembre 1966 et septembre 1970." Ainsi, pendant, une heure et demi nous allons entendre l'histoire du guitariste avec ses propres mots, avec dans le rôle du narrateur Bootsy Collins.
Il faut préciser que ce documentaire est sorti 3 ans plus tôt que le livre
Jimi Hendrix - Starting at zero, His Own Story, avec qui il partage le même concept à tendance "autobiographique". La génèse de ces projets remonte en fait à la fin des années 80 et à Alan Douglas qui souhaitait développer un double projet de biographie, avec un film et un livre (voir les détails de l'histoire
ICI). Bref, voir dans cette sortie en amont du livre de Douglas et Peter Neal une tentative de leur couper l'herbe sous le pied n'est pas complètement farfelue.
Pour autant il serait dommage de ne voir dans cette sortie qu'un produit de "commande" et opportuniste. La magie opère, aidée par la narration tout en sensibilité de Bootsy Collins, dont le timbre de voix s'apparente parfois étrangement à celle d'Hendrix. On retrouve bien évidemment des passages déjà lus, relus et commentés au fil des ans, sans pour autant que cela ne soit monotone. En effet, la narration est soutenue par un montage vivant, bien construit, avec une cohérence constante entre les propos et les images ainsi qu'un joli travail visuel et graphique, lui-même appuyé par des extraits de concerts tonitruants. Tout cela contribue à rendre le documentaire extrêmement vivant et bien souvent émouvant. Et peu importe que certains propos soient tronqués ou réassemblés, il serait regrettable de rechercher ici une vérité absolue, il s'agit ici plutôt d'approcher un artiste dans son intimité. Loin d'être un concurrent au livre cité plus haut, il me parait au contraire être une bonne introduction à ce dernier, qui va un plus loin dans la démarche d'essayer de traduire la parole et la pensée du musicien et qui devrait ravir ce qui souhaiterait approfondir.
En bonus la retranscription du film, qui j'espère vous donnera envie de vous plonger dans ce documentaire (en jaune les propos tenus par Jimi) :Je suis né à Seattle, aux États-Unis, le 27 novembre 1942. Mon père m’appelait Buster, ou p’tit gars, et ma mère m’appelait Jimmy. C’est surtout mon père qui m’a élevé. Mon père était très autoritaire et m’a appris à toujours respecter mes aînés. Je ne pouvais parler que si un adulte m’adressait la parole. Celui qui garde le silence ne peut s’attirer d’ennuis. J’ai donc toujours été très sage. Mais j’ai vu beaucoup de choses. Ma grand-mère avait du sang cherokee. J’ai passé beaucoup de temps dans une réserve de Vancouver. Mes parents se disputaient souvent et je devais toujours être prêt à m’esquiver au Canada. Mon père était d’humeur égale et pieux, mais ma mère aimait s’amuser et se déguiser. Elle buvait beaucoup et ne s’occupait pas bien d’elle. Elle est décédée quand j’avais 10 ans, mais elle était super.
Je suis allé à l’école à Seattle, à Vancouver et de nouveau à Seattle. Mon école était plutôt cool. Il y avait des Chinois, des Japonais, des Portoricains et des Philippins. On gagnait tous les matchs de foot. J’écrivais beaucoup de poèmes à l’école et je voulais devenir acteur ou peintre. On me reprochait d’être toujours en retard, mais j’avais de bonnes notes. J’avais une petite amie en cours de dessin et on se prenait tout le temps la main. Le prof de dessin n’appréciait pas du tout. J’ai quitté l’école tôt. Ça ne représentait rien pour moi. Je voulais vivre quelque chose. Mon père m’a dit de trouver un boulot et c’est ce que j’ai fait. J’ai bossé pour lui pendant plusieurs semaines. Je devais travailler dur. Mon père était jardinier et c’était dur en hiver quand il n’y avait plus de gazon à tondre.
Muddy Waters est le premier guitariste qui m’a marqué. J’ai écouté un de ses vieux disques quand j’étais petit et j’ai eu la frousse en entendant tous ces sons. C’est quoi ce machin ? C’était génial ! Vraiment funky. J’aimais bien Howlin’ Wolf, Elmore James, Jimmy Reed mais je préférais d’autres trucs. J’aimais bien Buddy Holly, Ritchie Valens et Eddie Cochran. Tout peut être une source d’inspiration, la couleur n’y change rien. Regardez Elvis. Il chantait le blues, mais il était blanc. Je disais toujours ; « Que le meilleur gagne. » Qu’il soit noir, blanc ou violet.
J’ai commencé à jouer de la guitare à 14 ou 15 ans. J’ai appris plein de riffs. J’ai appris à jouer en écoutant des disques à la radio. J’essayais de jouer comme Muddy Waters et Chuck Berry. J’essayais d’apprendre tout ce que je pouvais. Je jouais dans mon jardin et les gamins venaient m’écouter et disaient que c’était cool. À 17 ans j’ai monté un groupe avec des potes, mais on ne m’entendait pas. J’ignorais pourquoi, mais au bout de trois mois, j’ai compris : il me fallait une guitare électrique. Ma première a été une Danelectro, que mon père m’a offerte. J’ai dû le taxer pendant longtemps. J’ai pris ma guitare car c’était tout ce que j’avais.
Seattle est la plus jolie ville que je connaisse. Mais je ne pouvais pas y vivre, j’avais la bougeotte et je ne voulais pas vieillir sans avoir parcouru le monde. J’avais 18 ans, il fallait que je fasse mon service tôt ou tard alors je me suis porté volontaire. Je voulais que ce soit fait avant de me lancer dans la musique pour ne pas être interrompu sur ma lancée. Sans formation, je ne pouvais pas m’enrôler comme musicien, alors j’ai choisi la division la plus dure, l’aéroportée. J’ai dû acheter deux paires de bottes, quatre treillis sur mesure et vingt insignes du Screaming Eagle. Vous savez ce que ça représente ? La 101e division aéroportée de Fort Campbell dans le Kentucky. Ouai mon pote.
Lecture d’une carte postale :"Cher papa, Me voilà exactement où je voulais être : dans la 101e aéroportée. Comment ça va ? Et Léon ? J’espère que vous allez tous bien. C’est dur mais je ne me plains pas et je ne regrette pas ma décision. On a sauté d’une tour de 10 mètres après seulement trois jours. C’était pas mal. On était les neuf premiers sur 150. Trois types ont renoncé une fois en haut de la tour. Mais quoi qu’il arrive, je ne renoncerai pas. Je ferai tout mon possible pour y arriver, afin que la famille Hendrix puisse porter l’insigne Screaming Eagle de l’armée américaine. À papa Hendrix, de la part de ton fils. Je t’embrasse, James. P.S. : Envoie ma guitare dès que possible. J’en ai vraiment besoin."
Mais l’armée n’a rien de marrant. On m’empêchait de faire de la musique. J’étais dans l’armée depuis 13 mois quand je me suis blessé lors d’un saut. Ma cheville s’est prise dans le skyhook au moment où j’allais sauter et elle s’est brisée. J’ai aussi dit que je m’étais fait mal au dos. Je gémissais quand on m’examinait et on a fini par me croire. J’ai eu de la chance. Le Vietnam se profilait à l’horizon.
J’avais commencé à jouer sérieusement dans l’armée. J’allais donc tenter de gagner de l’argent en jouant de la guitare. Je suis allé à Nashville. Je logeais dans un lotissement en construction. Le dimanche après-midi, on allait voir les émeutes raciales. On emportait à manger car les restaurants ne nous servaient pas. Un groupe prenait position d’un côté de la rue et l’autre, en face. Ils s’insultaient en criant et, de temps en temps, se poignardaient. Parfois, quand il y avait un bon film le dimanche il n’y avait pas d’émeutes raciales.
J’ai mis du temps à me remettre de mes blessures. C’était dur au début. J’ai vécu dans la misère. Je dormais où je pouvais et je devais voler pour me nourrir. Je jouais dans les cafés, les clubs et dans la rue. C’est là que j’ai vraiment appris à jouer. J’ai monté un groupe, les King Kasuals, avec Billy Cox, un bassiste super funky. J’ai rencontré Gorgeous George, qui m’a déniché des tournées. J’ai donc commencé à voyager et à jouer dans le Sud. L’idée de jouer avec mes dents m’est venue dans une ville du Tennessee. Le genre d’endroit où il faut jouer avec les dents pour plaire au public. Il était vraiment exigeant. Plusieurs s’y sont cassé les dents. Un festival de soul avait lieu en ville, avec Sam Cooke, Solomon Burke, Jackie Wilson, B.B. King et Chuck Jackson, et j’ai joué dans le groupe qui les accompagnait. J’ai beaucoup appris en jouant tous les soirs avec de telles pointures.
Lecture de cartes postales :"Cher papa, J’espère que tout va bien. Je suis de nouveau sur la route. Je fais une tournée de 35 jours. On en est à la moitié. On a parcouru toutes les villes du Midwest, de l’Est et du Sud. Je t’écris bientôt Jimmy."
"Cher papa, Un petit mot pour te dire que je suis bien arrivé en Caroline du Sud. Passe le bonjour à tout le monde. Je t’embrasse, Jimmy."
Je suis allé à New York et j’ai gagné le 1er prix du Appollo Amateur Contest. J’ai reçu 25 dollars. J’y suis resté deux ou trois semaines. Les Isley Brothers m’ont proposé de les rejoindre. J’ai joué avec eux quelques temps mais je m’ennuyais, car on s’ennuie beaucoup quand on joue derrière les autres. Je les ai lâchés à Nashville et un autre groupe m’a ramené à Atlanta où j’ai rencontré Little Richard.
Lecture d'une carte postale :"Cher papa, j’ai reçu tes lettres quand j’étais à Atlanta. Je joue avec Little Richard. On se dirige vers la côte Ouest. On est en Louisiane. Mais je t’écrirai de nouveau une fois à Los Angeles. Jimmy."
Little Richard, c’était la star, un point c’est tout. Il disait qu’il était le seul à avoir le droit de briller. J’ai joué avec lui pendant cinq ou six mois. J’ai démissionné à cause de l’argent : il ne nous a pas payé pendant plus de cinq semaines. Je ne pouvais pas passer le restant de ma vie dans un costume brillant, avec des chaussures vernies et une coiffure assortie. Les guitaristes n’innovaient pas et j’étais mort d’ennui. Je voulais mon propre univers, ma propre musique. Je commençais à voir tout ce qu’on pouvait faire avec une guitare électrique car rien ne ressemble à ce son-là. J’avais des idées et des sons plein la tête, mais j’vais besoin de compagnons et ils étaient difficiles à trouver. De retour à New York, j’ai joué dans un groupe de R’nB, Cutis Knight and The Squires. J’ai aussi joué avec King Curtis et Joey Dee.
Lecture d'une carte postale :"Cher papa, je t’écris quelques lignes pour te dire que ça ne va pas fort dans cette bonne vieille ville de New York. Il ne m’arrive que des tuiles. J’espère que tout le monde va bien. Passe le bonjour à Léon. Je vais essayer de t’écrire bientôt et de t’envoyer une belle photo. Entre-temps, porte toi bien. Dis à Ben et Ernie que je joue le blues comme jamais."
J’avais des amis à Harlem et je leur disais : "Venez au Village pour qu’on fasse un bœuf." Le Village était d’enfer. J’y allais le soir et je jouais pendant deux heures. Il fallait savoir draguer pour trouver un endroit où dormir. J’ai eu la chance de jouer pour John Hammond Jr au Cafe au GO GO. J’y ai croisé Bob Dylan. On était tous les deux défoncés et morts de rire grâce à la bière. La première fois que je l’ai entendu, j’ai trouvé ça dingue qu’il ait le culot de chanter faux. Mais ses paroles m’ont séduit.
J’ai monté mon premier vrai groupe vers 1965. Ma chance a tourné quand un(e) ami(e) anglais(e) a persuadé Chas Chandler, le bassiste des Animals, de venir nous voir jouer sur scène. Chas m’a entendu jouer et m’a demandé si j’aimerais aller former un groupe en Angleterre. Il avait l’air sincère et je n’étais jamais allé en Angleterre.
Je voulais aller en Angleterre. Je ne pensais qu’à ça. J’aime voyager, je m’ennuie vite et j’aime bien aller voir ce qui se passe ailleurs. Ce qui m’intéressait, c’était l’idée de l’Angleterre. Je me suis dit "Ouah, je n’y suis jamais allé." Le 24 septembre 1966 est la date de mon arrivée en Angleterre. On m’a gardé à l’aéroport pendant trois ou quatre heures car je n’avais pas de permis de travail. Comme si j’allais faire fortune en Angleterre et déguerpir aux États-Unis. J’ai emménagé avec Chas Chandler. Les voisins se plaignaient de fêtes bruyantes quand on n’était pas là. Ça énervait beaucoup Chas mais moi je ne m’en préoccupais pas. Grâce aux nombreux contacts de Chas, j’ai trouvé mon bassiste et mon batteur. Quatre jours après notre formation on jouait à l’Olympia de Paris avec Johnny Halliday, l’Elvis français. On venait de se rencontrer, on se connaissait à peine. Je voulais jouer des morceaux très courts, avec un maximum d’impact. C’est pour ça que j’aimais le nom The Experience. Dans toutes les photos publicitaires de mes débuts, j’avais l’air morose. Mais c’était nécessaire de créer cette image pour qu’on écoute ma musique.
Ma musique n’est pas pop, elle est mon langage. Ma guitare ce sont mes notes, peu importe d’où elles viennent. Je n’ai jamais voulu créer un son commercial. On voulait être respectés, une fois vieux et après notre mort. Qui ne veut pas laisser sa marque dans l’histoire ?
Lecture d'une carte postale :"Cher papa, nous jouons à Londres en ce moment. C’est ici que j’habite. J’ai mon propre groupe et dans deux mois, on va sortir un album intitulé « Hey Joe » par The Jimi Hendrix Experience. J’espère que tu recevras cette carte. La situation s’est un peu améliorée. Ton fils aimant, Jimi."
On voulait que "Hey Joe" cartonne. Chas m’a fait chanter sérieusement. J’avais trop peur. C’était la première fois que je chantais sur un disque. Pendant l’enregistrement, on ne l’a pas jouée deux fois de la même façon. "Hey Joe" est une chanson de cow-boy avec un arrangement blues. Elle n’est pas commerciale et son succès au hit-parade m’a surpris. Comment le public accueillerait-il la suivante ? Elle était si différente. Je ne cessais de penser à un rêve que j’avais fait et dans lequel je marchais sous l’eau. J’avais lu une histoire de science-fiction avec un rayon violet mortel. Il s’appelait Purple Haze. Ce n’est pas une invention de la musique psychédélique, je soulevais juste plein de questions.
Pour moi, l’écriture est une collision entre la réalité et le fantastique. Le rêve permet de montrer différentes facettes de la réalité. Beaucoup, trouvaient ma façon de jouer vulgaire, mais je n’y prêtais pas attention. Je jouais pour le public et je ne trouvais pas nos gestes obscènes. La musique est si personnelle, elle évoque forcément la sexualité. Qu’y a-t-il de mal à ça ? Est-ce si honteux ? Je jouais et je bougeais selon ce que je ressentais. C’était ma façon d’être. On avait une chance inouïe de pouvoir jouer ce qu’on voulait et le public aimait ça. Souvenez-vous que je n’avais pas pu faire grand-chose aux États-Unis car je jouais derrière les autres. Puis tout ça est arrivé. Quand Chas m’a vu à Greenwich Village, il m’a prédit que tout se passerait comme ça.
J’ai commencé à m’inquiéter le premier soir du Walker Brothers Tour. Le public venait voir The Walker Brothers, Engelbert Humperdinck et Cat Stevens. En quittant la scène à l’endroit où se trouvaient les fans, on s’est dit qu’ils ne s’intéresseraient pas à nous. Mais on a été pris d’assaut. J’ignore pourquoi, mais on a commencé à vendre plein de disques.
En Angleterre, il faut sortir beaucoup de disques. Les Anglais ont l’esprit vif et ils se lassent facilement. Notre album s’intitulait
Are You Experienced, c’était un album très personnel, comme tous nos singles. C’était un album improvisé, qu’on a quasiment créé lors de l’enregistrement. Mais ce n’est pas une compilation de dérapages. Mes paroles sont le fruit de mon imagination et le reste se nourrit de science-fiction. J’aimais écrire des scènes mythologiques. On peut écrire sa propre mythologie, comme l’histoire des guerres sur Neptune et la raison de l’existence des anneaux de Saturne.
On était basés en Angleterre, loin de chez moi, mais c’est là qu’on a débuté. Les Anglais nous ont pris sous leur aile. On est restés jusqu’à la fin du mois de juin, puis on est parti tenter notre chance aux États-Unis. Paul Mc Cartney, le grand méchant Beatles, nous a obtenu un concert au Monterey Pop Festival. J’étais arrivé en Angleterre avec ce que je portais sur moi et j’en suis reparti avec la meilleure garde-robe de Carnaby Street.
Monterey était génial. C’était un festival de musique conçu avec intelligence. C’est là qu’on a démarré aux États-Unis. Quand j’étais en Angleterre, je pensais aux États-Unis. Je voulais jouer pour mon public et savoir si on pouvait y avoir du succès. On avait notre super son qui mélangeait rock, blues, country et funk. On était en train de séduire le monde entier avec cette nouvelle musique. Tout était parfait, si agréable, surtout dans mon propre pays. Alors j’ai décidé de détruire ma guitare. C’était un sacrifice. On sacrifie ce qu’on aime. J’aime ma guitare. Le Monterey Festival était génial, le public était beau. C’était l’un des meilleurs concerts que j’aie donnés. On a réussi notre pari parce qu’on a joué notre musique. C'était la nôtre et celle de personne d’autre. Puis on est partis en tournées avec les Monkees. C’était un ersatz des Beatles. Des parents sont venus avec leurs enfants et se sont plaints qu’on était vulgaires. Ce n’était pas le bon public. On m’a remplacé par Mickey Mouse.
J’avais quitté New York pour Londres, lancé une nouvelle mouvance, puis j’étais rentré au bercail. L’Amérique est si vaste. Quand on joue souvent en Angleterre, on finit par retourner aux mêmes endroits. Ce n’est pas le cas aux États-Unis. On débarquait en ville pour un concert et plein de jolies filles me proposaient un verre, d’aller à une fête. Je tombais amoureux d’elles, car c’était la seule forme d’amour disponible.
Quand je me réveille à sept heures du matin, encore fatigué, mais que je vois une jolie fille à ma porte, la première chose que je me dis c’est "Que diable fait-elle ici ?" ou "Que veut-elle ?", puis elle dit "Je peux entrer ?". Et moi je suis sous le charme car elle est vraiment très jolie. Elle a 19 ou 20 ans, au-dessus de l’âge requis, etc. Donc je dis : "Oh." Je reste là un instant, puis je décide de croquer la pomme. Avant il m’arrivait d’avoir faim. Les filles m’aidaient, elles étaient mes meilleures amies. C’est à cette époque que je me suis dit "je dois leur montrer ma gratitude". "Little Wing" était une douce jeune femme qui m’a donné beaucoup de bonheur, mais je n’ai pas su la garder avec toutes mes frasques. J’adorais les ballades parce que c’est plus facile d’y mettre des sentiments. J’étais doué pour les ballades. J’adorais ça.
Le Flower Power, j’aimais tout, du moment que ça ne faisait du mal à personne et que ça rendait les gens heureux. On n’est pas "peace" parce qu’on a les cheveux bouclés ou qu’on porte des clochettes. Il faut y croire, ça ne suffit pas de lancer des fleurs. Bien que cette mouvance était liée à la consommation de drogues, l’idée d’aimer tout le monde a fait beaucoup de bien. Bien sûr les hippies se faisaient arrêter de temps en temps, mais jamais pour un braquage de banque.
La consommation de drogues est un choix personnel. On devrait penser et faire ce qu’on veut, du moment qu’on ne fait de mal à personne. La musique est une drogue saine, c’est comme ça que ça devrait être. Elle était à l’origine de l’extase. Chacun son truc en fait.
Je ne me considère pas encore comme un auteur-compositeur. J’écrivais un peu partout, sur des boites d’allumettes et puis la musique me faisait penser à ces mots, je les relisais et les combinais. Pour les nouvelles chansons, j’allais parfois au studio seul et faisais enregistrer une bande pour avoir une idée de la batterie, de la guitare, de la basse et du chant. Parfois, je me défoulais simplement sur la guitare.
On a enregistré cet album (Axis) juste après le premier. Toutes les chansons reflètent ce qu’on ressentait. On travaillait aux États-Unis parce qu’on y gagnait 20 fois plus. Il n’y a pas de mal à ça. On devait bien manger nous aussi. J’avais hâte de rentrer à Seattle. Ça faisait sept ans. Mon père s’était remarié et mon frère Léon avait 19 ans. Il essayait de monter un groupe. Et j’avais une sœur de six ans, Janie, que je n’avais jamais rencontrée, j’étais parti depuis tout ce temps.
(à propos de gagner beaucoup d’argent et de chanter du blues)
C’est parfois très facile de chanter le blues quand on gagne autant d’argent. Les sommes sont devenues vraiment énormes. Les musiciens, surtout les jeunes qui gagnent autant trouvent ça génial. Mais ils se perdent en route et oublient la musique. Ils oublient leur talent, leur identité. Et ils arrivent à chanter le blues. C’est donc parfois le contraire. À une époque je pensais à l’argent, je me demandais si on me versait ce qui me revenait. Mais ça m’est passé. Certains artistes ne font que claquer leur argent et finissent sur la paille. À part des objets personnels qu’ils ont achetés. Ça ne m’attirait pas. Ce qui me bottait c’était la musique.
Ça fait deux ans qu’on est ensemble. On a joué "Purple Haze", "The Wind Cries Mary", "Hey Joe", "Foxy Lady", on a joué toutes ces chansons super groovy pendant deux ans. On s’est donc mis à improviser et on voulait montrer d’autres choses au public.On enregistrait un album entre les tournées. On voulait inclure deux chansons du nouvel album de Bob Dylan. On avait déjà enregistré "All Along The Watchtower". Je voulais commencer à faire de la vraie musique, je voulais créer un nouveau son. Surtout, je voulais oublier tout ce qui s’était passé avant 1968. On l’appellerait "The End Of The Beginning".
Pour nous, les albums sont comme un journal intime. C’est pour ça que j’aime toutes nos chansons. Je ne dis pas que ce sont les meilleures. Je suis très attaché à tout ce qui a été enregistré. Quand l’album est sorti, Noël, Mitch et moi figurions sur la pochette. On me parlait de la pochette anglaise dont j’ignorais tout. Je n’avais pas la moindre idée que des dizaines de filles nues figuraient sur la photo.
Quand on a enregistré Electric Ladyland, on était en tournée, ce qui est très difficile, car il faut se consacrer sur deux choses. On doit assurer su scène le soir et le lendemain à six heures, il faut aller au studio. C’était très dur. J’ai enregistré la moitié des chansons que j’avais prévu d’enregistrer.C’était la folie des émeutes raciales et de la discrimination. On pouvait vivre ensemble sans ces tensions. Mais à cause de la violence ces problèmes n’étaient pas réglés. Je ne m’intéressais pas à l’origine ethnique, je m’intéressais aux gens. Évidemment, je n’aimais pas voir des maisons brûler. On voulait qu’on fasse des concerts pour les Blacks Panthers. Je n’ai pas cédé, mais j’étais contre les agressions et la violence. Je voulais faire de la musique sans m’impliquer au niveau racial ou politique.
Je ne peux m’exprimer de cette façon dans une conversation, parce que ça ne vient pas comme ça. Mais quand on est sur scène, on est dans notre bulle, c’est toute notre vie. Seule la musique comptait. Un musicien dévoile toujours une partie de son âme. Je me sentais coupable d’être considéré comme le meilleur guitariste. Être bon ou mauvais ne comptais pas, ce qui comptait, c’était de ressentir ou de ne pas ressentir les notes. Il faut connaître le son et ce qui va entre les notes. J’essayais toujours de m’améliorer, mais je n’ai jamais réussi à être pleinement satisfait.
(à propos du Lulu Show) Encore une fois, on nous disait quoi faire. On voulait qu’on joue "Hey Joe", j’ai donc fait signe à Noël et Mitch et on s’est lancés dans "Sunshine Of Your Love". Sur scène, personne ne peut vous arrêter ou vous imposer une chanson.
Je n’aime pas trop les compliments. Ça me distrait en fait, de même que de nombreux autres musiciens et artistes. Ils entendent ça et se disent "je suis génial". Ils deviennent gros et fats, ils se perdent, oublient leur talent et commencent à vivre dans leur bulle.Deux ans plus tôt, je ne voulais qu’une chose : être écouté. Mais là je réfléchissais à la meilleure façon d’être écouté. Je ne voulais plus être un clown. Je ne voulais pas être une star de rock. On n’avait pas fait de break depuis nos débuts, et il allait falloir en faire un tôt ou tard, sinon notre musique finirait par en pâtir ou par nous décevoir. Je voulais me reposer complétement pendant un an. J’étais usé physiquement et émotionnellement. J’allais peut-être briser mes propres règles, mais je devais essayer. Je voulais changer de bassiste depuis longtemps. Noël devait partir. Le style robuste de Billy Cox me convenait mieux. J’avais rencontré Billy à l’armée. Ce n’est pas qu’il était le meilleur. On allait se reposer et se mettre au vert, le temps d’écrire de nouvelles chansons. On voulait avoir quelque chose de nouveau à proposer. The Experience ne me disait plus rien. On aurait pu continuer, mais à quoi bon ? Ça aurait servi à quoi ? C’était un fantôme, comme les vieilles pages d’un journal.
(à propos du SSB de Woodstock)
J’ignore pourquoi (la controverse). Je suis américain et je l’ai joué. Je le chantais à l’école, on était obligés alors... C’était un flashback […] ce n’est pas non orthodoxe, j’ai trouvé ça beau, mais bon… (à propos de la non-violence durant le festival de Woodstock) : je m’en suis réjoui, c’est le but. Éviter la violence, les sortir de la rue… 500 000 personnes à un festival, c’est une très belle fréquentation. J’espère qu’on en fera d’autres.(à propos de Woodstock)
Ça a été un succès car c’était le plus grand rassemblement de personnes pour un évènement musical. Ça aurait pu être un peu mieux organisé, mais ça a été un vrai succès, comparé à tous les autres festivals organisés ici ou là. Et l’idée de cette multitude écoutant de la musique à ciel ouvert. Tout le monde se dit qu’il va y avoir un problème, mais c’est toujours provoqué par la police… (à propos de la consommation de drogues pendant le festival) Certains croient qu’ils doivent faire ci ou ça pour comprendre la musique. Je n’ai pas d’opinion. Chacun son truc, c’est tout.J’enregistrais avec mon nouveau groupe. C’était un trio, avec le batteur Buddy Miles et le bassiste Billy Cox. On pouvait chanter sur l’amour et ses différentes formes, mais on voulait se pencher sur la protestation et les conflits de l’époque. (Intro de Machine Gun à Berkeley)
je dédie cette chanson à un groupe qui lutte en ce moment : les soldats du Vietnam. Elle s’intitule Machine Gun. Je la dédie aussi à ceux qui livrent bataille au sein d’eux-mêmes, en se voilant la face.On travaillait sur des chansons très dures mais directes et incisives. On voulait tout d’abord toucher le public, puis lui dire "Venez avec nous. Enfonçons les portes de la Maison Blanche." Les frustrations et les émeutes de l’époque étaient d’ordre personnel. Tout le monde lutte au fond de soi-même et ça s’extériorise en lutte contre autrui. Rien de plus. On voyait à quel point c’était sans espoir, quand on voyait ces gamins prêts à se faire éclater la tête. J’aurais aimé les voir faire leur truc avec un casque. Certains disaient : "On n’a pas d’avenir. C’est tout ce qu’on a." Je m’efforçais de faire de la musique une science magique où tout était positif. Quand on retire les doutes et la négativité, les choses deviennent plus claires et touchent davantage les gens. Ça devient contagieux.
Deux ans auparavant, je m’intéressais à
Are You Experienced, là c’était différent. L’homme et la terre ont besoin d’harmonie. On détruisait cette harmonie en déversant des déchets dans la mer et en polluant l’air. Et le soleil est très important, c’est ce qui donne la vie. Les premiers rayons du soleil levant étaient ma nouvelle vie. Il faut être positif, il faut persévérer jusqu’à réussir à se débarrasser de toute notre négativité.
Ce que je détestais dans les studios, c’était leur caractère impersonnel. J’y perdais toute ma motivation et mon inspiration. Electric Lady était différent. J’y ai fait de belles choses. Il était plein d’atmosphère et très confortable. On s’y sentait chez soi, on pouvait y enregistrer 32 pistes et possédait le meilleur matériel du monde. On avait enregistré plein de nouveaux morceaux et on espérait sortir un single six semaines plus tard. "Dolly Dagger" allait sûrement figurer sur la face A. C’était une femme célèbre.
Quand on rencontre le succès, les attentes sont énormes. Je n’avais plus envie de prouver quoi que ce soit. Ce qui me gênait, c’était que le public avait des attentes visuelles. Quand je ne le faisais pas, on m’en voulait, mais je ne pouvais pas péter un plomb sur demande. Le jour où je n’aurai plus rien à donner musicalement, je quitterai ce bas monde. Je n’étais pas certain de vivre au-delà de 28 ans, mais j’avais vécu tant de belles choses les trois années précédentes qu’on ne me devait plus rien. À la fin de la dernière tournée américaine, je voulais disparaître et tout oublier. Puis je me suis mis à réfléchir à l’avenir et j’ai compris que cette ère musicale déclenchée par les Beatles touchait à sa fin. Autre chose devait surgir et Jimi Hendrix serait là. Les jeunes n’ont pas de préjugés, mais je ne voulais pas me répéter. Je voulais que ce soit spontané, leur montrer à nouveau ce dont j’étais capable.
L’île de Wight était un lieu génial pour organiser un concert qui rassemble des jeunes des îles britanniques et du continent. L’île de Wight allait être mon dernier concert avant de former un nouveau groupe. Si les jeunes appréciaient, j’allais continuer un peu plus longtemps. Mais j’étais là pour jouer, pas pour parler. Je ne pensais pas vivre jusqu’à 80 ans. Il y avait d’autres choses à faire qu’attendre d’avoir 80 ans. Je voulais penser à l’avenir, pas au passé. Je travaillais sur mon nouvel album, on avait environ 40 chansons dont la moitié étaient terminées. J’avais des projets incroyables, mais dans le même temps devenir guitariste me semblait incroyable.
Je vais faire un bœuf pour ma mort. Je vais sûrement me faire arrêter à mon propre enterrement. Je vais essayer d’inviter Miles Davis, s’il veut venir. Notre musique devra être jouée très fort. Quand je serai mort, continuez à écouter mes disques.